Les dernières années ont été marquées par une montée inquiétante du
populisme de droite à travers le monde. Ce courant politique est au pouvoir
dans plusieurs pays d’Europe centrale et de l’Est, aux États-Unis, et
probablement bientôt au Brésil. Il est marqué à la fois par une adhésion toute
formelle à des institutions démocratiques et par un mépris profond pour des
valeurs démocratiques comme l’égalité des droits et le pluralisme politique.
Ce populisme vise à imposer des valeurs conservatrices à toute la
société en obtenant l’appui d’une majorité (ou d’une simple pluralité) de
l’électorat. Les droits de la personne, les droits des femmes, le droit à la
dissidence, les droits des minorités, le droit international n’ont alors aucune
légitimité. C’est la dictature d’une majorité nationaliste et conservatrice
instrumentalisée par des institutions superficiellement démocratiques. De là à
une nouvelle forme de fascisme, il n’y a pas une grande distance à franchir.
C’est cette dynamique qui est à l’œuvre dans la Russie de Poutine, avec
l’écrasement brutal du mouvement indépendantiste tchétchène, la criminalisation
de l’homosexualité ou la répression contre les journalistes et les forces
d’opposition. C’est aussi ce qu’on observe en Hongrie et ailleurs en Europe
centrale dans le refus de reconnaitre la moindre légitimité aux droits des
réfugiés arrivés de Syrie et d’autres pays dévastés par la guerre et les
changements climatiques ou encore la discrimination et la répression contre les
Roms.
C’est bien entendu le cœur de l’administration Trump avec le projet du
mur à la frontière mexicaine, l’interdiction d’entrer aux États-Unis pour les
ressortissants de 6 pays à majorité musulmane, le mépris affiché pour les
institutions internationales jusque dans l’assemblée générale de l’ONU, l’identification
des médias comme des ennemis du peuple, etc. Les sondages de sortie de vote ont
démontré que ce qui a rassemblée la base électorale de Trump en 2016 était
essentiellement l’hostilité envers l’immigration, un leit motiv commun à tous
les populismes de droite.
Est-ce que le nouveau gouvernement québécois se situe dans cette
mouvance ? Il s’agit, selon nous, d’une version plus modérée du phénomène
que ce qu’on peut voir en Europe ou ailleurs dans les Amériques, mais tout de
même d’un équivalent québécois. Des idées comme le test des valeurs pour les
immigrants, l‘indifférence aux questions environnementales, les promesses de
cadeaux fiscaux et les lieux communs contre les fonctionnaires et les syndicats
en sont des exemples typiques. La priorité stratégique pour Québec solidaire
sera de contrer ces tendances inquiétantes en combinant notre travail politique
avec les efforts des mouvements sociaux.
Des stratégies perdantes
Quelle stratégie les forces démocratiques et la gauche devraient-elles
employer face à ce phénomène ? Ce qui est clair est que donner raison à
ces discours démagogiques, même en partie, n’est pas la bonne voie. Les
Travaillistes de Blair avaient joué le jeu de la panique face à l’immigration
et le résultat de leurs efforts ont été l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement
conservateur ayant une forte composante populiste de droite, influencée par
l’extrême-droite du parti UKIP. En France, le ralliement du PS à la panique
anti-foulards et à l’islamophobie n’a fait que nourrir la montée du Front
national et la radicalisation vers le populisme de droite des conservateurs
sous Sarkosy.
La présidence de Bill Clinton avait marqué le ralliement du Parti
démocrate à des idées populistes de droite comme la criminalisation de la
pauvreté, menant à une hausse vertigineuse des taux d’incarcération et à une
nouvelle forme de ségrégation (New Jim Crow). Obama a déporté plus de migrantes
et de migrants que George W. Bush et Bill Clinton réunis. Au bout du compte,
les politiques inhumaines de Trump ne sont souvent que le prolongement des
décisions de ses prédécesseurs des deux grands partis.
Les beaux discours du libéralisme progressiste ne sont pas une formule
gagnante non plus. Les Démocrates des États-Unis, notamment, ont eu beau
marteler des formules toutes faites en faveur de la tolérance et du pluralisme,
de la diversité et des droits civiques, ils et elles n’ont pas été en mesure de
stopper la montée de la droite populiste. Faire la morale aux gens pendant
qu’on met en place des politiques qui appauvrissent et précarisent la majorité
de la population ne fait que donner des munitions à Trump et ses semblables. L’élection
d’un président Afro-américain ou d’une présidente, c’est bien beau, mais si ça
ne change rien aux conditions de vie qui se détériorent pour la grande majorité
des femmes et des Afro-américains, c’est de la poudre aux yeux. Cette politique
du symbole ne fait pas le poids face à la mobilisation des bas instincts et de
l’individualisme encouragés au quotidien par un capitalisme brutal.
Au Québec, le triomphe de la CAQ a été préparé par 25 ans de consensus
dans la classe politique autour d’une politique économique néolibérale. L’accroissement
des inégalités, la détérioration des conditions de travail, la négligence face
aux impératifs écologiques sont autant de points communs entre les
gouvernements libéraux et péquistes qui ont nourri le cynisme et le repli sur
soi. La décision stratégique du PQ de Marois de prendre un virage dit
identitaire et en fait de donner raison à Dumont et à l’ADQ dans leur crainte
des minorités et des immigrants a aussi préparé le terrain au triomphe de
Legault.
L’alternative militante et solidaire
Il nous faut donc opposer au populisme de droite une sorte de populisme
de gauche. La réduction des inégalités sociales doit revenir au cœur du projet
politique progressiste. Et la récente campagne électorale de Québec solidaire
en a donné un bel exemple en mettant de l’avant des propositions comme la
gratuité scolaire, la hausse du salaire minimum, la réduction des tarifs de
transport, l’assurance dentaire publique, une fiscalité progressive, etc.
La tentative de dénigrement lancée par Jean-François Lisée dans le
dernier droit de la campagne, accusant QS d’être influencé par le marxisme et
de vouloir tout nationaliser, était typique de la réponse des centristes face à
une vraie gauche. Après 50 ans d’efforts visant à donner au projet
indépendantiste une image raisonnable et modérée, le PQ n’est plus capable d’envisager
la moindre rupture avec l’ordre établi, incluant l’indépendance elle-même.
Mais cette alternative ne peut pas se limiter à soulever des enjeux de
classe et ignorer les oppressions fondées sur l’ethnicité ou la diversité
sexuelle et de genre, notamment. Ce n’est pas d’un retour à l’ouvriérisme de la
vieille gauche dont nous avons besoin mais d’un vaste rassemblement de la
majorité populaire dans toutes sa diversité. (Le peuple n’est pas composé que d’hommes
blancs travaillant dans des usines, comme l’image d’Épinal des ouvriers du 19e
siècle !) Et pour ce faire, il faut combiner la lutte pour la justice
sociale avec la défense des droits et la solidarité internationale.
Face au populisme de droite, nous devons oser dire que l’opinion de la
majorité (parfois marquée par les préjugés et l’ignorance) n’est pas un
argument suffisant pour nier des droits aux personnes et aux minorités. C’est
l’argument qui avait fait la différence dans les débats au sein de mon syndicat
(la Fédération autonome de l’enseignement) à son congrès de 2013 et qui font
qu’aujourd’hui il est capable de défendre les droits des femmes musulmanes qui
en sont membres contre le projet du gouvernement d’interdiction des signes
religieux.
Mais au-delà de cet argument qui relève du libéralisme politique, il
faut développer une vision de la complémentarité entre les luttes des minorités
et celle de la majorité. Tout comme nous ne pouvons réclamer le droit à
l’autodétermination pour le Québec et ne pas le reconnaitre pour les Premier
peuples, nous ne pouvons affirmer le droit de la majorité francophone du Québec
de protéger sa langue et sa culture et en même temps demander aux minorités de
s’assimiler au point de se rendre invisibles. L’interculturalisme n’est pas
simplement une adaptation au Québec des principes du multiculturalisme, c’est
une vision de l’identité québécoise elle-même, faite de la rencontre entre la
majorité et les minorités en vue de créer la culture commune.
Au cœur du projet politique solidaire se trouve l’opposition à toute
forme d’oppression, à toutes structure sociale reproduisant des injustices. L’influence
du mouvement féministe a incrusté cette vision de la justice sociale dans l’ADN
du parti. Au 4e congrès sur le programme, nous avons formellement
adopté la perspective intersectionnelle, comme prolongement de cette vision
féministe. Il ne s’agit pas pour nous que de mettre autant de femmes que d’hommes
au sommet de la société mais de changer la société pour la rendre plus
égalitaire et inclusive de toutes et tous.
Pour arriver à la convergence nécessaire des luttes des minorités et de
la majorité, Québec solidaire doit notamment être un allié fiable et constant
pour les mouvements qui luttent contre le racisme sous toutes ses formes et
pour les droits de la personne. Ceci nous demande, dans le contexte actuel,
d’affirmer clairement une conception de la laïcité en harmonie avec la Charte
québécoise des droits et libertés. En aucun temps nous ne devrions cautionner
les discours populistes de droite qui entretiennent la panique face aux
minorités religieuses et à l’immigration.
La CAQ ne s’arrêtera pas à la question des signes religieux dans ses
efforts de division de la population et de stigmatisation des minorités.
Bientôt, il faudra se battre contre l’absurde test des valeurs, pour les droits
des Premières nations face à de nouveaux projets extractivistes, et contre
toutes sortes d’idées conservatrices qui trouveront leur chemin à travers les
méandres d’un caucus éclectique.
Ce gouvernement est conscient de la fragilité de son nouveau pouvoir, élu
qu’il a été sur la promesse d’un vague changement. Il cherchera à consolider sa
base en polarisant l’opinion publique. Le rôle de Québec solidaire sera de
rassembler l’autre pôle, de le faire grandir en ayant comme projet la
construction d’une toute autre majorité. Dans cet effort, prenons garde à ne
pas tomber dans les pièges de l’apaisement, de la recherche du consensus. Il
ne nous viendrait pas à l’idée de chercher un compromis entre notre vision
écologiste et le capitalisme brun de la CAQ. Nous n’allons pas non plus
argumenter en faveur de la coupure de 2500 postes de fonctionnaires plutôt que
de 5000.
La future majorité sera construite en rassemblant les résistances, pas
en visant un juste milieu sans principes. L’indépendance sera anticoloniale et
antiraciste, solidaire et inclusive, ou elle ne sera pas.
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