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Qu’est-ce que le sectarisme ?



Tout le monde, à gauche, s’entend pour désapprouver verbalement le sectarisme. Nous parlons ici du sectarisme politique, présent dans les organisations de gauche et les mouvements sociaux, et non du sectarisme religieux avec qui il a plusieurs points communs par ailleurs. Mais sans une définition claire du concept, on pourrait avoir tendance à simplement décrire comme sectaires les idées et les groupes avec lesquelles nous sommes en désaccord … ce qui serait une forme de sectarisme ! Proposons donc une description du problème fondée sur une histoire des idées de gauche en vue de clarifier la discussion sur le sujet. Notre intention étant de contribuer tout particulièrement au processus en cours visant à fonder une nouvelle organisation socialiste au Québec.
Notre thèse de base est que le sectarisme résulte de l’influence des idées philosophiques et politiques bourgeoises sur le mouvement ouvrier et les mouvements sociaux. Ces idées prennent leurs racines dans les tendances les plus radicales des révolutions bourgeoises, comme les Jacobins de la révolution française. Elles ont trouvé un nouvel élan dans le courant stalinien qui a dominé le mouvement communiste à partir de la contre-révolution en Russie[i]. La gauche ouvrière ou socialiste a été dominée par ces courants de pensée pendant la majeure partie du XXe siècle. Se libérer de cette influence et redécouvrir les racines du socialisme par la base constitue le défi politique le plus important de notre époque.
Même s’il se réclame souvent du marxisme, le sectarisme rejette deux idées de base de ce courant de pensée : l’autoémancipation de la classe ouvrière et la méthode scientifique. Il adopte, au lieu de l’autoémancipation, une approche typique de la gauche bourgeoise, celle du despotisme éclairé ou de l’avant-garde autoproclamée. Il faut libérer le peuple … que le peuple le veuille ou non ! Au lieu d’aborder le monde d’une manière rigoureuse et de tirer toujours de nouvelles leçons de l’expérience, il tend à affirmer des vérités immuables et incontestables. Bref, il s’agit d’un dogmatisme autoritaire et non d’une théorie scientifique de l’émancipation.
On reconnait donc les sectaires à la facilité avec laquelle ils semblent toujours avoir raison[ii]. Ils prennent généralement une posture d’enseignement et non d’apprentissage, dans leur rapport au monde extérieur. Leur doctrine contient tout ce dont nous aurions besoin pour mener à terme nos lutte contre l’oppression et l’exploitation. Par conséquent, la seule explication pour le fait que le capitalisme et les différents systèmes oppressifs sont toujours avec nous est que le peuple n’a pas accès à la vérité détenue par le groupe infaillible. Cette épistémologie de la pensée révolutionnaire justifie alors que les membres du groupe sectaire consacrent énormément de temps et d’argent à la diffusion des idées parfaites de leur organisation et au recrutement de nouveaux adeptes.
Non seulement les sectaires ont raison ici et maintenant, mais ils ont toujours eu raison dans le passé et dans toutes les situations. Ce qui explique la place occupée par les questions historiques et l’importance accordée dans leurs activités et leurs publications aux exemples lointains dont nous devrions nous inspirer sans trop nous poser de questions. Leur analyse des situations nouvelles et actuelles se résume à se demander comment appliquer les recettes déjà découvertes.
Une autre explication qu’ils se donnent de leur marginalité est que ce sont les autres courant politiques qui sont influencés par des idées bourgeoises ou antirévolutionnaires. Ils partagent d’ailleurs avec l’extrême-droite un penchant pour les théories de la conspiration. Leurs efforts surhumains pour propager la vérité sont systématiquement contrecarrés par le travail de sape des autres organisations politiques et des directions des organisations de masse. Quand quelque chose de bien se produit dans un mouvement ou un parti (comme à Québec solidaire, par exemple), c’est toujours contre la direction malveillante. Quand il s’y produit quelque chose de déplorable, c’est toujours de la faute de la même direction. Le bon peuple joue ici un rôle de figuration dans le combat entre les bons dirigeants (ceux du groupe sectaire) et les mauvais.
Les sectaires se voient toujours comme un pôle, occupant une extrémité d’un espace politique binaire ou linéaire. Ils sont les meilleurs féministes, les meilleurs antiracistes, les meilleurs socialistes, les meilleurs écologistes, etc. Tous les autres courants pêchent par modération et diluent les bonnes idées radicales avec différentes doses de compromis et de compromission. Il ne leur vient jamais à l’idée qu’on puisse aller trop loin et nuire à la cause par un radicalisme abstrait n’ayant pas de prise sur la réalité sociale et incapable de générer une mobilisation significative.
L’important, bien entendu, pour les sectaires, n’est pas de gagner, mais uniquement d’avoir raison. En fait, ce qui compte est de se donner bonne conscience et de n’avoir rien à se reprocher. Cette mentalité est typiquement bourgeoise et n’a rien à voir avec l’expérience vécue de la classe ouvrière et des groupes opprimés pour qui chaque petite victoire est importante en vue d’améliorer son sort. La politique du pire est étrangère aux mouvements de masse et ne peut se concevoir que lorsqu’on les critique de l’extérieur.
Nous prenons la peine de développer cette définition du sectarisme parce que les débats et les luttes sociales et politiques de notre époque sont déjà durs et vont probablement continuer d’êtres ardus, complexes, et générateurs de tensions pour l’avenir prévisible. Il est déjà assez difficile de s’organiser, de se mobiliser et de travailler ensemble contre nos véritables adversaires : le patronat, les privilégiés et les gouvernements à leur service. Si nous pouvions faire preuve d’ouverture, de bienveillance et d’écoute entre nous, la route qui nous reste à parcourir sera moins longue et pénible. Qui sait, nous pourrions même avoir du plaisir en chemin…


[i] Qu’on considère celle-ci comme uniquement politique ou comme une contre-révolution sociale n’est pas important ici.
[ii] J’utilise le masculin parce que la gauche sectaire me semble profondément masculine et antiféministe par son approche, même si bien des femmes peuvent être tout aussi sectaires que leurs collègues masculins.

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