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Les contradictions de Québec solidaire

Depuis le début, le projet politique de Québec solidaire repose délibérément sur certaines ambiguïtés afin de permettre un rassemblement large de la gauche, au-delà des différentes perspectives stratégiques qui la traversent. Nous avons décidé en 2006 de fonder un parti et de participer aux élections. Est-ce à dire que nous croyons qu’il suffit de gagner une élection générale ou deux pour réaliser notre programme? Certaines personnes le croient peut-être. D’autres sont convaincues que sans une mobilisation sociale sans précédent et un effort constant de vigilance à l’interne contre les tendances centralisatrices, Québec solidaire connaîtra le même sort que bien d’autres partis de gauche une fois au pouvoir et décevra amèrement la plupart de ses partisans. D’autres encore pensent qu’il est déjà trop tard et que QS est un parti social-démocrate comme les autres. 


Depuis le début aussi, QS fait face à des pressions énormes de la part des institutions en place (parlement, média, système économique…) et doit constamment combiner un certain degré d’adaptation à ces institutions avec une volonté clairement exprimée dans son programme de remettre en cause ces mêmes institutions. Ce jeu d’équilibriste a été particulièrement visible dans le travail des porte-parole et de la députation. Selon les moments et les individus, on a vu un peu plus d’adaptation ou un peu plus de contestation. La déclaration du député Amir Khadir en 2012 affirmant la légitimité de la désobéissance civile face à la loi spéciale contre la grève étudiante était un exemple parfait de contestation. Le ralliement presque inconditionnel du caucus derrière le gouvernement Legault au début de la pandémie serait à l’autre bout du spectre. La plupart du temps, on navigue quelque part entre les deux. 


Un autre phénomène qui exacerbe les contradictions inhérentes à un projet politique cherchant à réaliser des changements fondamentaux en participant aux structures de pouvoir en place, est celui de la bureaucratisation. Il ne s’agit pas ici d’invectiver certaines personnes en les qualifiant de bureaucrates! Simplement, il faut reconnaître qu’il y a des différences notables dans la manière de fonctionner d’un parti qui, comme QS au tout début, compte sur trois personnes employées à temps plein (une porte-parole, une coordinatrice et une comptable, si ma mémoire est bonne...), et un parti qui gère le travail d’une centaine d’employé.e.s comme c’est le cas depuis l’élection de 2018. Cette couche de personnes libérées à temps plein pour faire du travail politique va naturellement avoir tendance à créer une petite société à part qui en mène large dans la vie du parti. 


Face à ces tensions et contradictions, on peut adopter trois grandes catégories d’attitudes si on a une perspective politique écosocialiste de transformation radicale. On pourrait qualifier une première approche de fataliste. La bureaucratisation et la dérive vers le réformisme social-démocrate sont alors vues comme inévitables, donc tout ce qu’on peut faire est dénoncer cette évolution et rallier des militantes et des militants autour d’un petit groupe radical qui serait l’embryon d’un futur parti révolutionnaire. Une autre serait l’approche bureaucratique de gauche. Si on part de l’idée que les tendances problématiques sont le résultat des efforts délibérés de “la direction”, on pourrait se donner comme stratégie de remplacer ladite direction par des personnes ayant des convictions politiques radicales. On voit aussi cette approche dans le mouvement syndical, avec des résultats souvent très décevants. 


Vous comprendrez que l’approche que je préconise est la troisième, que je qualifierais d’opposition constructive ou de résistance collective. Elle repose sur une vision en trois dimensions de la résistance à la transformation de QS en parti social-démocrate. La première dimension et la plus importante est la radicalisation des mouvements sociaux. QS a été rendu possible par une série de grandes mobilisations, de la Marche du pain et des roses aux grèves pour le climat de 2019, en passant par le mouvement altermondialiste et la grève étudiante de 2012. Sans des mouvements sociaux mobilisés et aux revendications audacieuses, un parti de gauche radical de masse est sociologiquement improbable, un gouvernement de gauche qui réussit à changer l’État et la société est tout simplement impensable. 


La deuxième dimension de cette stratégie consiste à organiser la vigilance de la base militante dans le parti face aux égarements ponctuels ou aux dérives plus profondes indiquant un abandon de l’équilibre entre contestation et adaptation au profit de la seule adaptation. Cette vigilance devrait se manifester dans l’activité des structures qui regroupent cette base militante, que ce soient les associations locales, les réseaux militants, les commissions thématiques ou les commissions nationales. Pour ce faire, la diffusion d’une théorie partagée est nécessaire, c’est ce qui me motive à écrire le présent texte. Des échanges réguliers à divers niveaux en vue de mettre cette théorie en pratique sont également essentiels. 


La troisième dimensions, et celle qui devrait venir couronner les deux autres, et non s’y substituer, consiste à faire en sorte que les personnes qui occupent des positions de pouvoir et d’influence dans le parti soient dans le coup. Il sera beaucoup plus facile de résister aux pressions vers une normalisation social-démocrate du parti si la majorité des personnes qui siègent au comité de coordination national ou composent le caucus à l’assemblée nationale ont conscience de ce danger et s’efforcent de prévenir une telle évolution. Pour ce faire, ces personnes devraient faire très attention à ne pas abuser de leur pouvoir, à ne pas se contenter de respecter les règles formelles des statuts et du code de procédures et à faire de la place aux perspectives minoritaires ou marginales dans nos débats. Elles devraient aussi réfléchir avec la base militante à la mise en place de mécanismes pouvant contribuer à la prévention de ces phénomènes. Par exemple, en élargissant le leadership du parti par la transformation du conseil national en une structure permanente capable de s’auto-organiser plutôt qu’un mini-congrès préparé minutieusement par le CCN. 


Au bout du compte, c’est la volonté toujours réaffirmée de réaliser l’ensemble de son programme qui devrait rallier la majorité des membres de Québec solidaire, à tous les niveaux, à la perspective d’une résistance à la normalisation du parti. En effet, ce programme ne sera réalisable que si les mouvements sociaux sont mobilisés comme jamais dans notre histoire, que la base militante de QS est organisée et autonome, pendant que la direction du parti est au diapason avec les luttes sociales et en complicité avec sa propre base militante. 


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