Une des critiques
les plus courantes de Québec solidaire (QS) consiste à associer ce parti au
multiculturalisme canadien. Les débats actuels au sein du parti sur la laïcité
et les signes religieux ont donné aux commentateurs une nouvelle occasion
d’entonner en chœur ce lieu commun. Il se trouve que, lors de la dernière
élection générale, QS est arrivé premier parmi les moins de 35 ans. Qu’est-ce
qui caractérise cette tranche de la population ? Notamment le fait d’avoir
fréquenté les écoles francophones et multiethnique créées par la Charte de la
langue française (loi 101).
QS est donc
le parti des enfants de la loi 101, de ces jeunes qui voient le peuple
québécois comme la rencontre entre des gens de toutes origines autour du socle
commun de la langue française. Bref, cette génération est allée à l’école de la
politique d’interculturalisme mise en place par le gouvernement de René
Lévesque. Cette politique était la seule réponse rationnelle au nouveau projet
national canadien fondé sur le bilinguisme et le multiculturalisme. Accuser
maintenant cette génération du péché de multiculturalisme est non seulement
infondé mais profondément ironique, surtout venant de partisans du Parti
québécois.
Deux
projets nationaux incompatibles
C’est
notamment pour contrer la montée du mouvement indépendantiste québécois des
années 1960 et 1970 que l’État canadien a développé un ensemble de politiques
redéfinissant l’identité canadienne. En renforçant le bilinguisme, le
gouvernement fédéral a voulu affirmer que les francophones peuvent être chez
eux partout au Canada et non seulement au Québec. Avec le multiculturalisme, il
a encouragé l’identification au Canada des personnes de toutes origines dans un
pays qui se préparait à accueillir un grand nombre d’immigrantes et
d’immigrants. Le vieux fond impérialiste britannique, monarchique et
conservateur, devait céder la place à cette nouvelle identité canadienne
ouverte sur la diversité.
À cette
offensive fédérale sur le terrain de l’identité, le gouvernement Lévesque a
répondu avec son propre projet pluraliste : l’interculturalisme québécois.
Il se trouve que les tendances démographiques lourdes (baisse de la fécondité,
vieillissement de la population) imposaient une rupture avec la vieille
stratégie de la survivance et du repli sur la majorité ethnique
canadienne-française. Aussi, la sécularisation de la société québécoise et la
laïcisation de ses services publics avaient retiré l’identificateur religieux
catholique commun aux Canadiens-français. Il était désormais possible
d’intégrer des enfants de toutes les origines dans le réseau scolaire public,
sans doute la création la plus fondamentalement importante de la révolution
tranquille. L’obligation faite aux enfants dont les parents n’étaient pas nés
au Québec de fréquenter cette nouvelle école commune posait les fondation d’une
redéfinition à long terme de l’identité nationale, désormais résolument
québécoise et civique.
Les personnes
qui ont développé l’interculturalisme ont identifié correctement que le
problème avec le multiculturalisme canadien n’est pas son caractère
multiculturel, mais sa finalité canadienne, en compétition avec le projet
national québécois. Au bilinguisme souvent fictif ils ont opposé l’unilinguisme
français. À la mosaïque multiculturelle ils ont répondu avec la rencontre de
toutes les cultures dans la construction de la culture commune et francophone. Au
lieu de nier l’existence d’un centre de gravité culturel – l’héritage
britannique et la langue anglaise dans le cas canadien – ils ont affirmé que la
majorité historique issue de la Nouvelle-France et du Bas-Canada constituait le
cœur de l’identité québécoise, mais pas son entièreté.
Le
piège du conservatisme identitaire
Reprocher à
Québec solidaire d’avoir une vision pluraliste de la société québécoise serait
comme lui reprocher d’être écologiste, féministe ou pour la justice sociale.
Mais plus qu’une attaque partisane, il s’agit d’une position de repli, d’un
retour à une vision de la nation qui avait été mise de côté il y a 40 ans.
L’alternative au nationalisme civique et interculturel de QS - à part
l’acceptation du projet canadien qui fonde la politique du PLQ - ne peut être
qu’une nouvelle mouture du nationalisme monoculturel et conservateur du temps
de Duplessis.
C’est au fond
ce qui s’affirmait dans les sorties de Mario Dumont, alors chef de l’ADQ,
contre le programme ECR (à qui il reprochait d’enseigner les spiritualités
autochtones) de même que dans la prétendue crise des accommodements
raisonnables. C’est aussi ce qui sous-tendait la Charte des valeurs québécoise
du gouvernement Marois (en affirmant que certains vêtements associés à des
religions minoritaires étaient contraires à ces valeurs). C’est clairement ce
qui ressort des politiques du gouvernement actuel en matière d’immigration
(notamment l’appel à une immigration principalement européenne).
Ce rejet du
pluralisme, que ce soit par l’imposition d’un conformisme vestimentaire ou la
réduction de l’immigration, constitue un abandon du projet national qui s’était
incarné dans la loi 101. C’est céder le terrain de l’intégration des nouveaux
arrivants au Canada et encourager la population d’origine canadienne-française
à se replier sur ses banlieues et ses villages, sur son passé et son patrimoine
catholique. L’attachement au crucifix installé au Salon bleu par Duplessis n’en
est que le symbole le plus frappant. Ce nouveau conservatisme identitaire ne
peut mener, à long terme, qu’à la mise en minorité du groupe ethnique issu de
la Nouvelle-France sur le territoire du Québec et éventuellement à sa
folklorisation.
Les membres
de Québec solidaire, peu importe quelle décision sera prise lors de son
prochain conseil national à propos des signes religieux, doivent s’inscrire en
faux contre cette régression conservatrice et affirmer haut et fort leur fierté
d’incarner la vision du Québec que nous avons hérité de Lévesque, Godin et
Laurin. Le Québec du 21e siècle sera pluriel ou ne sera rien d’autre
qu’une Louisiane du Nord, avec son charme vaguement français.
Comme c’est éclairant! Merci, Benoit!
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