Depuis son
adoption le 16 juin, la loi 21 dite « sur la laïcité de l’État » a
été un élément central dans les débats politiques et idéologique, en plus de
devenir l’enjeu de batailles juridiques. Son application cause déjà des drames
personnels. Le mouvement qui s’y oppose activement est encore marginal et les
sondages semblent indiquer qu’elle bénéficie toujours d’un appui majoritaire.
Allons-nous assister à un durcissement du nationalisme conservateur triomphant?
Un renversement de tendance vers une vision inclusive du Québec est-il
envisageable? Quelle stratégie devrions-nous mettre de l’avant pour mettre fin
à cette injustice et prévenir d’autres défaites sur le plan des droits de la
personne? Des éléments de réponse à ces questions se trouvent dans les origines
de la loi, les arguments qui l’ont justifiée et l’alignement des forces
sociales et politiques qui en résulte.
Un
nationalisme à l’ancienne
L’adoption du
projet de loi 21 a été l’aboutissement d’une longue bataille idéologique menée
par les nationalistes conservateurs. Les porte-paroles les plus connus de ce
courant d’idée ont d’ailleurs poussé de cris de victoire quand les députés de
la CAQ et du PQ ont voté pour la légalisation d’une forme de discrimination.
Pour ces personnes, la vision tordue de la laïcité incarnée dans cette loi fait
désormais partie de l’identité québécoise et doit être défendue comme si notre
existence comme collectivité en dépendait[i].
Le point de
départ de la longue campagne politique des nationalistes conservateurs a
consisté à jeter le bébé des droits de la personne avec l’eau du bain du coup
constitutionnel de 1982. L’amalgame est assez simple tout en étant complètement
fallacieux. « La constitution canadienne a été adoptée sans le consentement
du Québec. La Charte canadienne a été conçue notamment pour entraver les
efforts du Québec en vue de protéger la langue française. Donc, la préservation
de l’identité québécoise demande qu’on rejette les chartes des droits et le
multiculturalisme. »
Les deux
premières parties de cette équation sont véridiques. Mais le saut vers la
troisième affirmation est pour le moins périlleux. On peut y répondre notamment
que si certains articles de la constitution de 1982 visaient à miner la loi
101, ce n’est pas une raison pour rejeter le reste de la Charte canadienne.
Aussi, si le bilinguisme et le multiculturalisme canadiens sont en conflit avec
la notion même d’une nation québécoise ayant le français comme langue commune,
ce n’est pas une raison pour tomber dans une définition étroite de l’identité
québécoise. En fait, le vieux nationalisme ethnique du temps de Duplessis est
parfaitement compatible avec l’intégration de l’ethnie canadienne-française
dans la mosaïque canadienne. C’est l’idée d’un Québec interculturel, foyer
d’intégration de gens venus « des autres saisons » qui est en conflit
frontal avec le « nation building » canadien.
Bref, le
ralliement des partis politiques nationalistes à cette vision, hostile aux
chartes des droits et assimilatrice plutôt qu’intégratrice, n’était pas une
fatalité. D’ailleurs, c’est seulement vers 2006 que l’ADQ s’est installée dans
ce giron identitaire. Auparavant, elle se distinguait surtout par son
conservatisme socio-économique. Le PQ y a résisté jusqu’à sa défaite électorale
cinglante du printemps 2007. Puis, le ralliement des troupes au virage opéré
par Pauline Marois ne s’est pas fait sans résistance ou sans débats. C’est la
bataille politique pour la Charte des valeurs en 2013 qui a consolidé le virage
et rendu le processus irréversible.
Positionnements
aux élections fédérales
La récente
campagne électorale fédérale nous a donné un éventail des différents
positionnements possible face à la loi 21. Le Bloc québécois a démontré son
ralliement au nationalisme conservateur en mettant de l’avant un discours dénué
de l’ombre de la moindre critique de la loi sur le fond, en plus de présenter
toute opposition celle-ci comme une attaque contre le Québec en général.
Pourtant, deux partis sur quatre à l’Assemblée nationale avaient voté contre !
Les
conservateurs ont tenté de jouer une carte politique opportuniste en atténuant
les critiques et en mettant l’accent sur leur respect de la juridiction
québécoise en la matière. Leur ambition était de rafler une partie de la base
électorale de la CAQ. Mais celle-ci leur a échappé au profit d’une augmentation
spectaculaire des appuis pour le Bloc, beaucoup plus fermement aligné sur le
gouvernement Legault.
Les Libéraux
ont laissé la porte ouverte à une implication du gouvernement fédéral dans les
contestations judiciaires de la loi. Ce positionnement, prévisible pour le
parti qui nous a donné la constitution de 1982, correspondait à leur situation
de gouvernement sortant un peu amoché par les scandales et dont la campagne
visait surtout leur base traditionnelle. Le fait qu’une telle intervention du
fédéral ne ferait que nourrir le discours nationaliste conservateur et
n’apporterait rien à des contestations judiciaires déjà en cours ne semble pas
avoir compté dans leur stratégie.
C’est le NPD
qui a adopté la position la plus à même de désarmer les nationalistes
conservateurs et de combattre la loi. Ses principaux représentants ont martelé
à la fois que le parti était contre la loi sur le fond et que ce n’était pas le
rôle du gouvernement fédéral de la contester. Cette position faisait d’ailleurs
écho à celle de Québec solidaire demandant aux partis fédéraux de se mêler de
leurs affaires, tout en s’opposant fermement à la loi.
LE
message et les messagers
Une publicité
du gouvernement du Manitoba invitant les personnes ciblées par la loi 21 à
venir s’établir dans leur province a fait réagir. D’abord, l’idée de quitter le
Québec pour une autre province constitue une solution logique pour des femmes
et des hommes qui veulent exercer une des professions couvertes par la loi tout
en portant un signe visible de leur appartenance religieuse. Que le
gouvernement manitobain veuille profiter de cette situation pour aller chercher
des personnes compétentes et les intégrer à une minorité francophone en déclin
est tout aussi logique.
Évoquer en
réponse la mémoire de Louis Riel, comme l’a fait le chef intérimaire du PQ est
pour le moins anachronique. Riel est maintenant reconnu comme un héros canadien
et le fondateur de la province, tandis que John A. Macdonald a de plus en plus
mauvaise presse… En même temps, toute intervention de la part des gouvernements
provinciaux ou du fédéral est mal perçue en raison d’une longue histoire de
marginalisation du Québec dans le système politique canadien et de Québec
bashing. Au cours des dernières années, les attaques contre le Québec sont
venues principalement des politiciens de l’Alberta et de la Saskatchewan,
fâchés par le rejet massif du projet Énergie Est et amères d’avoir à financer
les services publics québécois par la péréquation. Donc, même si le message est
pertinent, les messagers ne sont pas bien placés pour le livrer. Ce sont les
personnes visées par la loi qu’on a besoin d’entendre nous parler de leur
détresse et de leur envie de partir.
Il en est de
même des accusations de racisme portées avec raison contre cette loi. Pendant trop
longtemps, des leaders politiques et des médias du Canada anglais et de la
minorité anglo-québécoise ont accusé injustement le mouvement souverainiste de
racisme quand il défendait la langue française ou menait des batailles pour l’émancipation
nationale. Maintenant que ces accusations sont fondées, bien des gens ne
veulent pas les entendre, surtout si elles viennent des mêmes institutions[ii].
Ce sont les personnes québécoises racisées qui doivent prendre leur place dans
le débat, en alliance avec les membres de la majorité qui sont solidaires de
leurs luttes.
Pour
renverser cette loi, il va falloir décontaminer le nationalisme québécois,
malade des influences de l’extrême-droite culturelle européenne et des
nativistes étasuniens. Si les contestations judiciaires sont légitimes et
nécessaires, elles ne suffiront pas à remporter la bataille d’idées et à
rallier une majorité de la population à une vision inclusive et juste de la
société. Il ne suffit pas d’arracher la mauvaise herbe, il faut planter autre
chose et prévenir sa réapparition. Ultimement, seule l’adhésion démocratique pourra
garantir le respect des droits des personnes et des minorités. C’est notamment
pour cette raison que nous avons besoin d’une constitution québécoise, élaborée
par une assemblée constituante et ratifiée par référendum, comme le prévoit le
programme de Québec solidaire.
[i]
Pour une autre vision de la laïcité, voir ma présentation du 9 février 2018 https://tinyurl.com/rhzy5uk
[ii] Pour
plus de détails sur cet aspect de la question, voir sur Le blogueur solidaire, le billet intitulé Racisme, privilèges et incompréhension https://leblogueursolidaire.blogspot.com/2017/11/racismes-privileges-et-incomprehensions.html
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