Ceci est le premier d’une série de billets
portant sur l’élection présidentielle étasunienne de 2020. Pour ce coup
d’envoi, nous allons aborder les résultats de l’élection précédente et les
leçons qui en ont été tirées par différents courants de pensée au sein du parti
démocrate.
D’abord,
rappelons que le républicain Donald John Trump a remporté l’élection en dépit
d’un déficit d’environ 3 millions de voix sur son adversaire démocrate Hillary
Rodham Clinton. Clinton a obtenu 65, 85 millions de votes contre 62,98 millions
pour Trump. Malgré cet avantage pour la démocrate, Trump a remporté 304 votes
dans le collège électoral, tandis que Clinton obtenait 227 de ces grands
électeurs. À cela, il convient d’ajouter qu’environ 44% de l’électorat ne s’est
pas prévalu de son droit de vote.
Le système
des grands électeurs accorde un certain nombre de votes à chaque État. Pour la
plupart d’entre eux, la candidature ayant obtenu la pluralité des voix obtient
tous les votes au collège électoral (Winner
takes all). Il est donc plus important de remporter plus d’États que
d’obtenir une majorité écrasante dans quelques État. Par exemple Clinton a
remporté la Californie avec presque deux fois plus de votes que Trump (8,75
millions contre 4,48 millions), mais elle aurait obtenu les même 55 grands
électeurs si elle avait remporté cet état par quelques voix seulement. De
son côté Trump a remporté plusieurs batailles importantes par des marges très
minces. Il a notamment obtenu les 20 grands électeurs de la Pensylvanie par une
marge de 44 292 voix sur près de 6 millions. Au Michigan, Trump l’a
emporté par une marge de 0,23%, ce qui lui donnait 16 votes au collège
électoral.
L’autre
distorsion apportée par le système du collège électoral est qu’il accorde un
poids disproportionné aux États moins populeux. Par exemple, le vote d’une
résidente du Montana a 3,4 fois plus de poids que celui de sa cousine du Bronx[i].
Comme la population des État les moins populeux tend à adopter des opinions
plus conservatrices sur plusieurs sujets, cette distorsion est à l’avantage des
Républicains. Ceci est dû en bonne partie au fait que le nombre de grands
électeurs par État correspond aux nombre total de ses sièges à la chambre des
représentants et au sénat. Comme chaque État dispose de deux sénateurs, les
États moins populeux sont avantagés.
Par étonnant
que les appels à l’abolition du système des grands électeurs, au profit d’un
suffrage universel direct, s’est fait entendre avec force au lendemain de
l’élection de novembre 2016. Mais une telle réforme n’allait pas survenir quand
la majorité du Sénat est toujours aux mains des Républicains, en de la
présidence républicaine avec son droit de véto. L’élection de 2020 va donc se
dérouler avec le système électoral qui avait avantagé Bush en 2000 et Trump en
2016.
Deux
grandes stratégies : élargir la base ou viser le centre
Comment
surmonter l’avantage structurel accordé aux républicains et assurer une
victoire démocrate en 2020? On peut observer deux grandes tendances dans ce
débat stratégique. D’une part, les figures plus modérées dans le parti
démocrate considèrent que la meilleure option consiste à cibler le centre de
l’échiquier politique de manière à convaincre un certain nombre de personnes
qui avaient voté Trump en 2016 de changer de parti en 2020, en particulier dans
les États que Trump avait remporté par une faible marge. Cette stratégie repose
sur l’idée que la campagne démocrate n’aura pas d’impact majeur sur le taux de
participation ou l’inscription de nouvelles personnes sur les listes électorales.
Il faudrait faire avec l’électorat actif tel qu’il est et tenter d’en rallier
une proportion un peu plus importante. Cette stratégie conduit ses adeptes à
éviter les propositions politiques controversées ou polarisantes et à mettre
l’accent sur ce qui pourrait rallier largement dans la population, incluant les
indépendants (les personnes qui ne s’identifient à aucun des deux grands
partis) et les républicains dits modérés.
De l’autre
côté, tout un courant au sein et autour du part démocrate penche plutôt en
faveur d’une meilleure mobilisation de la base électorale progressiste. Il
s’agit alors de convaincre les gens de prendre la peine d’aller voter. Aussi,
on met en œuvre des campagnes d’inscription sur la liste électorale, un
processus qui n’est pas automatique et doit parfois compter avec des obstacles
administratifs mis en place par des gouvernements d’État aux mains des
républicains. Ces mesures de découragement du vote (voter suppresssion) ou de limitation du droit de vote (disenfranchizement) affectent tout
particulièrement les personnes afro-américaines, latinos ou issues de
l’immigration.
Qui
a voté pour Trump?
Six états clé
avaient voté pour Obama en 2012 et ont basculé du côté républicain en
2016 : la Floride (29 grands électeurs), la Pennsylvanie (20), l’Ohio
(18), le Michigan (16), le Wisconsin (10), et l’Iowa (6), plus un des districts
du Maine (attribué séparément). Ceci fait un total de 100 grands électeurs,
soit beaucoup plus que la quarantaine qu’il aurait fallu faire passer de la colonne
rouge vers la colonne bleue pour assurer la victoire de Clinton.
Mais qui sont
les personnes qui ont voté pour Obama en 2012 et Trump en 2016? Une étude
auprès de 8000 répondants semble
indiquer que la question clé a été celle de l’immigration, avec d’autres enjeux
dits « sociaux »[ii].
Ce 9% de l’électorat Obama qui a voté pour Trump serait composée de gens qui
ont généralement des idées progressistes sur les questions socio-économiques
(inégalités, commerce, services publics…) mais des idées conservatrices sur les
enjeux sociaux ou culturels (religion, immigration, criminalité, identités…).
Devant cette observation, on peut, encore une fois, adopter deux stratégies
bien différentes. D’un côté, les démocrates auraient intérêt à mettre de
l’avant un programme ambitieux de réduction des inégalités et d’amélioration
des services publics, sur le modèle du New Deal de F.D. Roosevelt. L’autre option
serait de modérer le programme démocrate sur les questions sociales, notamment
en adoptant une orientation plus répressive face au phénomène de la migration
irrégulière.
On a beaucoup
fait était du phénomène de la « classe ouvrière blanche » du Mid-West,
qui aurait fait la différence du côté de Trump. On estime que 22% de
l’électorat blanc ouvrier (sans
éducation post-secondaire) ayant appuyé Obama est passé à Trump, contre 9% dans
l’ensemble de l’électorat. Mais le fait est que la majorité des votes des
milieux ouvriers blancs sont allés à Clinton. C’est plutôt la démobilisation
des personnes de couleur qui ont décidé de rester à la maison qui a fait
pencher la balance[iii].
En 2016, le taux de participation de la population afroaméricaine a diminué de
7% (de 66,6% à 59,6%). Le taux de 2012 était le plus élevé jamais mesuré et
pour la première fois surpassait celui de l’électorat blanc. Bref, la campagne
de Hilary Clinton n’a pas su conserver l’appui de milliers de gens qui avaient
appuyé son prédécesseur.
Une autre
étude a démontré que la base électorale de Trump se caractérisait par son
hostilité envers l’immigration et non par des difficultés socio-économiques[iv].
En fait, quand on compare les sondages de sortie du vote (Exit Polls) de 2012
et 2016, les caractéristiques sociologiques ou démographiques de la base de
Trump sont très semblable à celles de George W. Bush, le dernier républicain à
avoir remporté la présidence[v].
La seule caractéristique frappante qui semble rallier l’ensemble de l’électorat
de Trump est son hostilité envers l’immigration[vi]
et son appui pour le projet du mur le long de la frontière avec le Mexique
(86%).
Dans des
entrevues effectuées par des journalistes en 2018, des membres de cette
catégorie de l’électorat ayant passé de Obama à Trump exprimaient un rejet
général pour la classe politique[vii].
Le côté « outsider » de Trump, qui n’avait jamais occupé un poste
électif, les avait attiré. Cet attrait de la nouveauté ou de l’audace pouvait
jouer en faveur d’Obama en 2008, puis de Trump en 2016. Aujourd’hui, il
pourrait favoriser autant Bernie Sanders (le socialiste) que Pete Buttigieg (le
maire d’une ville modeste). Ce rejet de la classe politique pourrait aussi
expliquer le peu d’enthousiasme pour la candidature de Joe Biden, le sympathique
mais brouillon vice-président d’Obama.
Dans le prochain billet, nous allons
examiner les résultats des premiers votes de la longue saison des primaires
démocrates.
[i] Un
grand électeur pour 47 000 votes exprimés dans l’État de New York contre un
pour 160 000 au Montana.
[vi]
84% de la base de Trump en 2016 serait favorable à la déportation des personne
ayant migré de manière irrégulière, selon les Exit Polls cité par le New York
Times.
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