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Le temps de se dépasser

La politique québécoise et canadienne est une île de normalité dans un monde en crise. On pourrait s’en réjouir; et il y a certainement une argumentation à développer en faveur de la normalité, de la stabilité et de la politique néolibérale ordinaire que nous servent Trudeau et Legault, chacun à sa manière. C’est mieux que la guerre en Ukraine, que la guerre civile au Soudan, que le psychodrame aux rebondissements choquants trop nombreux même pour un scénario hollywoodien, à quelques degrés de latitude au sud. Mais la réalité est que ce petit train tranquille est un désastre du Lac Mégantic au ralenti. 


Le capitalisme fossile a ruiné une partie de notre été, avec le smog intense résultant de feux de forêt sans précédent. Les inondations de 2017 et 2019 étaient aussi des symptômes du dérèglement climatique. Et ce n’est que le début. On pourrait se dire qu’il est trop tard et qu’il ne reste qu’à profiter de la vie et du temps qui nous reste. Xavier Dolan n’est pas complètement irrationnel avec sa récente déclaration. Mais si on se donne un peu de recul, il faut reconnaître que la détérioration des conditions matérielles de la vie sur Terre peut s’accélérer ou ralentir, que les désastres peuvent arriver plus tôt ou plus tard, selon ce qu’on fera aujourd’hui et demain. La différence entre le moins pire scénario envisageable, si on prend un virage radical maintenant, et celui que nous préparent les pouvoirs en place avec leur politique ordinaire, se mesurera en millions de morts prématurées.


Il faut aussi prendre conscience qu’il y a bien des manières de s’adapter et de réagir aux bouleversements. Les migrations climatiques ne font que commencer. Allons-nous ériger des murailles ou ouvrir nos portes? Le Québec va-t-il accueillir celles et ceux qui viendront “des autres saisons” comme nous le convie Vigneault? Allons-nous donner une nouvelle vigueur à notre système de santé publique pour mieux nous préparer à la prochaine pandémie ou continuer à privatiser et laisser les pauvres se démerder avec leurs troubles? 


Les changements nombreux et significatifs contenus dans les revendications des mouvements sociaux et le programme de Québec solidaire ne sont pas simplement les vœux pieux d’une gauche confortable se donnant bonne conscience. Ce sont des objectifs capables d’inspirer un combat pour sortir de la déchéance tranquille. 


Le grand virage dont nous avons besoin peut devenir une réalité si la gauche sociale, la gauche politique et les forces de contestation se donnent comme objectif de s’emparer du pouvoir, de tout le pouvoir nécessaire à cette transformation. Nous n’y arriverons pas en négociant des compromis entre la quête perpétuelle et insatiable de profits d’une part, et la défense des intérêts et des droits de la grande majorité de la population d’autre part. Il n’y a pas de juste milieu entre l’humain et l’inhumain, entre le train infernal du capital et la communauté frappée par des tonnes d’acier et de combustible. 


Au Québec, cette transformation économique et sociale n’est possible que par le chemin de l’indépendance nationale, en solidarité complète avec les peuples autochtones. Pour y arriver, nous avons besoin de tous nos moyens, bien entendu. Mais surtout, nous avons besoin de prendre de grosses décisions ensemble, au sein de communautés solidaires et démocratiques. La révolution écosocialiste ne sera pas décrétée d’en haut, par un État central tout puissant. Il faut sortir du cadre colonial canadien pour créer une communauté plurinationale (avec les Autochtones) radicalement démocratique et décentralisée. 


L’indépendance est aussi un chemin essentiel pour la réconciliation entre les aspirations nationales et collectives d’une part et la défense des droits des personnes et des minorités de l’autre. Présentement, on nous demande de choisir soit la dissolution du Québec dans le grand ensemble canadien, à la Trudeau; soit le rétrécissement constant d’un Québec replié autour des craintes - parfois imaginées et parfois justifiées - du groupe majoritaire, à la Legault. 


On peut et on doit dépasser cette dichotomie en mettant de l’avant un projet à la fois collectif et inclusif, national, anticolonial et profondément démocratique. L’indépendance est impensable sans l’appui d’une bonne partie des personnes issues de diverses minorités ethno-culturelles, il y aura toujours trop de fédéralistes dans la majorité d’origine canadienne-française. En même temps, la défense des droits de toutes les minorités ne sera vraiment acquise que si elle repose sur le consentement de la majorité, à l’occasion de l’adoption de notre constitution, par référendum, suite aux débats et aux consultations menées par l’assemblée constituante. Des droits protégés uniquement par des institutions monarchiques-fédérales sur la base d’une constitution imposée d’en haut ne seront jamais à l’abri des démagogues et des aléas du climat idéologique. 


Devant cette énorme tâche, il serait tentant de baisser les bras ou de se contenter d’une version un peu moins inhumaine du capitalisme néolibéral, à la NPD. On pourrait se satisfaire de mener des luttes défensives, une grève ou une manif à la fois, de rendre moins pires certaines lois initiées par les gouvernements néolibéraux, un amendement à la fois. Toutes ces petites victoires sont utiles, mais nettement insuffisantes. Le temps est venu de renouer avec l’inspiration, la mobilisation massive, la confrontation sans compromis. Souvenons-nous de 1972 et de 2012! 


La révolution québécoise est encore possible. Y croyez-vous?


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