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Les mauvais calculs de Pauline Marois

Les phénomènes politiques n'évoluent pas selon les lois de la mécanique mais celles de la dialectique. Une de ces lois est que les changements qualitatifs et graduels finissent toujours par atteindre un nouveau seuil qualitatif et changent alors de nature. Une autre, liée à la première, est qu'une chose peut se transformer en son contraire. L'évolution du paysage politique québécois se fait aussi selon ces règles. Par exemple, la montée graduelle des appuis pour l'ADQ de la fondation du parti en 1993 jusqu'à l'élection de mars 2007 a mené à un changement qualitatif, soit l'accession de ce parti au statut d'opposition officielle. Aussi, ce phénomène s'est transformé rapidement en son contraire, soit la désafection encore plus rapide de la population pour ce parti, qui est passé de 30% des votes lors de ces élections à des intentions de vote autour de 7 ou 8% dans les sondages, trois ans plus tard, soit beaucoup moins qu'à ses débuts.

La même chose est en train de se passer, selon moi, avec le Parti québécois. Les dirigeants du PQ ont graduellement poussé leur formation politique vers la droite depuis au moins le début des années 1980. Il s'en est suivi une érosion graduelle de la base de ce parti dans les milieux populaires et syndicaux. Pour toute une période, cette érosion n'était pas suffisante pour causer de gros problèmes sur le plan électoral. Bien des gens qui avaient perdu leurs illusions quand aux orientations progressistes de ce parti ont continué à voter PQ uniquement parce qu'il incarnait, à sa façon, le projet d'indépendance du Québec.

Mais un nouveau seuil qualitatif a été atteint autour de 1996 (après l'échec du second référendum) avec la politique de déficit zéro du gouvernement Bouchard et l'orientation dite des "conditions gagnantes" en lien avec la souveraineté. Les mécontents, plus nombreux que jamais, ont commencé à s'organiser sérieusement, entre autre avec le Rassemblement pour une alternative progressiste (RAP). Ce groupe s'est ensuite divisé en deux: une partie participant à la fondation de l'Union des forces progressistes (UFP), un nouveau parti faisant concurrence au PQ ; l'autre choisissant de tenter d'influencer le PQ de l'intérieur avec le "club" Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre(SPQ-Libre).

Dans la même période, des militantes et militants des groupes féministes et communautaires décidaient de s'investir de plus de plus sur la scène politique, avec la fondation de D'Abord solidaire, puis d'Option citoyenne (OC). La fusion de l'UFP et d'OC a donné Québec solidaire en février 2006, un saut qualitatif pour la gauche ayant rompu avec le PQ qui lui a permis de prendre sa place sur la scène politique avec 145,000 votes en 2007 et l'élection d'un premier député en 2008.

C'est dans cette nouvelle situation que le PQ, sous la gouverne de Pauline Marois, vient d'effectuer son nième coup de barre à droite, le mois passé, avec le colloque sur "la création de la richesse" et l'expulsion du SPQ-Libre. Ceci s'ajoute au virage entrepris par ce parti sur son option fondamentale depuis la défaite cuisante de 2007. La nouvelle orientation préconisée par la direction (qui n'a toujours pas été ratifiée par un congrès, prévu pour 2011) consiste en un ramassis de toutes les formules permettant d'éviter de poser les vrais questions et de se donner comme défi de convaincre les gens que l'indépendance en vaut la peine. Il s'agit essentiellement de donner à de vieilles idées de nouveaux noms. L'affirmation nationale (de Pierre-Marc Johnson) s'appelle maintenant la "gouvernance souverainiste" ou la "promotion de l'identité québécoise". Le beau risque de René Lévesque et le rapport Allaire (à l'origine de l'ADQ) reviennent sous la forme d'une "dernière offre" de renouvellement du fédéralisme dont personne ne veut.

Pendant ce temps, Québec solidaire continue à progresser. En novembre dernier, il a confirmé et approfondi son orientation indépendantiste en adoptant une série de propositions programmatiques. Cet hiver, il s'est résolument placé du côté des travailleuses et des travailleurs du secteur public en menant une campagne qui démontrait la possibilité de financer adéquatement les services publics sans surtaxer les citoyens à revenus modestes ou moyens (couragepolitique.org).

Comme le régime Charest s'entête visiblement à défendre bec et ongle les intérêts des multinationales et des millionaires (comme le montre son récent budget) et souffre se l'usure du pouvoir, la question d'une alternative politique se pose avec accuité. Pour la direction du PQ, le simple fait d'avoir repris sa place d'opposition officielle en décembre 2008 devrait suffire à garantir leur retour au pouvoir à la faveur de l'alternance. Mais les différences de substances entre eux et les libéraux sont si minces qu'on ne peut pas y voir la lumière du jour... Paradoxalement, c'est ce qui pourrait permettre aux libéraux de remporter un autre mandat. "Vaux mieux se faire avoir par les libéraux et avoir la paix que de se faire avoir par les péquistes et se taper une autre crise constitutionnelle stérile en plus!"

C'est donc dans la rue, principalement, et aussi à Québec solidaire, que la véritable opposition s'organise. Si la mobilisation qui a commencé avec les grandes manifestations du 20 mars et du 1er avril continue à se développer, avec une série de grèves dans le secteur public et possiblement une grève étudiante, la chaleur sociale pourrait atteindre son point d'ébulition et faire lever le gâteau qui se prépare à QS depuis quatre ans. Autrement dit, si 500,000 travailleuses et travailleurs du secteur public, plus 200,000 étudiantes et étudiants, des milliers de sans-emploi organisés dans les groupes communautaires, avec leurs familles, leurs amis et leurs voisins, sont en colère contre le gouvernement et exigent des solutions bien différentes que celles que pourra offrir le PQ, il n'est pas exclu que le membership de QS passe finalement de 5000 à 10,000 ou que ses intentions de vote montent jusqu'à 15%. À ce moment-là, la direction du PQ pourrait voir le tapis confortable tissé et retissé par les inconditonnels de la grande alliance nationaliste (comme les chefs du SPQ-Libre) se détricotter sous leurs pieds.

Il n'est donc pas exclu que Québec solidaire fasse élire plusieurs députés aux prochaines élections générales, ce qui pourrait causer la formation d'un autre gouvernement minoritaire (péquiste ou libéral). Suite à cette élection, le PQ ne peut qu'entrer une nouvelle fois en crise existentielle. S'il gagne, ce sera à cause de la continuité flagrante entre sa gouvernance suposément souverainiste et celle des libéraux, combinée à l'inanité de ses propositions sur la question nationale. S'il perd, ce sera à cause de son incapacité à reprendre le pouvoir face à un régime corrompu et méprisé. D'une manière ou d'une autre, la période suivante sera l'occasion d'un nouveau saut qualitatif pour Québec solidaire, désormais positionné non pas comme le sympathique et inoffensif nouveau venu, mais comme un candidat sérieux au pouvoir. Mais ça, c'est une autre histoire...

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