L'ampleur de la manifestation du 10 novembre, les discours des porte-parole de divers regroupements étudiants et l'intransigeance du gouvernement Charest indiquent que nous pourrions très bien assister, durant la session d'hiver 2012, à la 9e grève générale illimitée de l'histoire du mouvement étudiant québécois.
Je suis souvent intervenu au sujet de l'histoire de ce mouvement - qui a été mon école de militantisme entre 1984 et 1996 - verbalement ou par écrit. Il n'est pas question ici de revenir sur l'ensemble de la question ou de raconter des anecdotes savoureuses. Je veux seulement revenir sur une des observations qui ressortent de mon travail antérieur sur le sujet. Chaque grève générale étudiante a eu un impact majeur sur le mouvement étudiant lui-même et à causé des changements dans les orientations ou la structure des grandes organisations étudiantes.
La grève de 1968 a mené à la mort de l'Union générale des étudiants du Québec (UGEQ), parce que ses principales associations affiliées, les associations générales des campus universitaires francophones, ont été dissoutes parce qu'on avait jugé qu'elles n'avaient pas été utiles durant la mobilisation.
Celle de 1974 (portant sur le régime d'aide financière) a mené tout droit à la fondation de l'Association nationale des étudiants du Québec (ANEQ, plus tard ANEEQ avec la féminisation du nom) le 22 mars 1975. La coordination du mouvement de grève au niveau national avait été nécessaire ainsi que la constitution d'un comité national de négociation.
Puis, en 1978, une grève portant également sur les prêts et bourses mais contre un gouvernement péquiste, allait mener à la première division du mouvement au niveau national, avec la séparation graduelle du Regroupement des associations étudiantes universitaires (RAEU), à l'origine un caucus dans l'ANEQ, puis à la fondation de la Fédération des associations étudiantes collégiales du Québec (FAECQ). Le fondement de cette division était carrément politique, avec les groupes de gauche et d'extrême-gauche d'un côté (celui de l'ANEQ) et les jeunes péquistes de l'autre (RAEU, FAECQ).
La 4e grève générale, en 1986, a été un triomphe pour l'ANEEQ, qui a fait reculer le gouvernement Bourassa dans son intention d'augmenter les droits de scolarité. Ceux-ci étaient gelés à 500$ par année depuis la grève de 1968. Cette victoire combinée au renvoi du PQ dans l'opposition en 1985 a achevé de désorienter le RAEU et la FAECQ qui n'avaient jamais mobilisé leurs membres et servaient essentiellement de tremplin pour la carrière de jeunes péquistes (dont André Boisclair). L'ANEEQ est alors redevenue le seul regroupement national étudiant pour quelques temps.
Celle de 1988 a été le début de la fin pour l'ANEEQ. Une tentative de grève offensive sur l'aide financière s'est terminée par une sorte de match nul avec le gouvernement et la démobilisation graduelle du mouvement, sans victoire claire. La porte était ouverte pour que des négociations entre quelques associations universitaires, qui étaient restées indépendantes depuis la mort du RAEU, jetent les bases d'une nouvelle fédération.
La défaite de 1990 a été marquée par plusieurs revirements. D'une part, la direction de l'ANEEQ, discréditée par son positionnement contre loi 101 en 1989 et son bilan jovialiste de la grève de 1988, n'arrivait pas à embarquer ses propres associations dans son plan d'action. Finalement, il y a eu une grève générale limitée à la grande région de Montréal et à Rimouski. La Fédération étudiante universitaire (FEUQ), toute nouvelle, s'était opposée au dégel, mais aussi à la grève et proposait comme solution l'Impôt post-universitaire (IPU). Quelques associations collégiales qui avaient refusées de même poser la question de la grève à leurs membres ont par la suite fondé la Fédération étudiante collégiale (FECQ).
On croyait alors revenir à la situation antérieure, avec le RAEU et la FAECQ. Mais l'avenir allait s'avérer plus compliqué. Contrairement à leurs prédécesseurs des années 1980, les dirigeants des Fédérations (FEUQ et FECQ) ont organisé des mobilisations de masse ponctuelles (des journées d'action, manifestations, etc.). On passait du syndicat de boutique (RAEU et FAECQ) au syndicalisme de concertation conflictuelle, à la mode dans le mouvement ouvrier dans la même période.
Pendant ce temps, l'ANEEQ est morte lentement et péniblement de ses dissensions internes et de son incapacité à donner au mouvement une nouvelle perspective stratégique claire suite à la défaite historique de 1990.
C'est la campagne contre la réforme Axworthy, une refonte des interventions du gouvernement fédéral dans les questions sociales, dont l'éducation post-secondaire, qui sera l'occasion de la prochaine mobilisation étudiante de masse (sans aller jusqu'à la grève illimitée). Cette lutte donnera l'élan pour la fondation du Mouvement pour le droit à l'éducation (MDE) en mai 1995. Mais entre temps, la FEUQ et la FECQ se sont consolidées et, désormais, c'est la gauche étudiante qui est minoritaire, contrairement à la situation du temps de l'ANEEQ.
C'est donc le MDE, en toute logique, qui sera à l'origine de la 7e grève générale étudiante, à l'automne de 1996, contre la politique de déficit zéro du gouvernement Bouchard qui menaçait d'inclure une nouvelle hausse des frais de scolarité et possiblement l'introduction de frais au collégial. Mais si le MDE était assez fort pour lancer le mouvement, il était trop petit pour le diriger et le représenter au complet. Il était aussi trop peu présent dans les universités pour que le mouvement de grève affecte plus qu'une poignée de départements. Durant cette grève, la FEUQ a freiné le mouvement jusqu'au bout, tandis que la FECQ s'est ralliée en chemin et à reculons quand quelques associations affiliées étaient déjà en grève.
Le portrait fut très différent lors de la grève suivante, la plus récente, à la session d'hiver 2005. Si l'Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ- successeur du MDE) a pris l'initiative du mouvement de grève, la FEUQ et la FECQ étaient aussi en mode mobilisation contre la coupe de 103 millions$ dans l'aide financière. La FECQ s'est ralliée au mouvement de grève générale assez rapidement et même la FEUQ a fini par lancer, pour la première fois de son histoire, un mot d'ordre de grève générale illimitée.
L'exclusion de l'ASSÉ des négocations avec le gouvernement a laissé un goût amer pour bien du monde, avec raison. Certains s'en sont pris agressivement aux dirigeants de la FEUQ en particulier (un comportement sectaire à l'extrême). Plusieurs ont parlé alors de trahison et défaite. Mais le fait est que les bourses ont été rétablies à leur niveau antérieur, quoi que graduellement. C'était, comme en 1968, en 1974, en 1986 ou en 1996, une victoire partielle et temporaire. Il ne peut pas y en avoir d'un autre type, à moins de faire la révolution mondiale...
Ce qui me ramène à la situation actuelle. Les principaux regroupements étudiants se sont réunis l'an dernier et se sont entendus pour ne pas mener de négociation séparée avec le gouvernement. La manifestation du 10 novembre était organisée conjointement par tous les regroupements, incluant l'ASSÉ et la FEUQ. On y a parlé abondamment, de la tribune, de la perspective d'une grève générale à la prochaine session. Tous ces faits sont sans précédent. Pouvons-nous quand même envisager que la direction de la FEUQ pourrait revenir à ses mauvaises habitudes et contribuer à la division du mouvement? C'est possible. Mais est-ce que c'est une fatalité? Je crois que non.
2012 ne sera pas 2005 ou 1996 ou 1986. C'est une nouvelle génération qui se mobilise. Une génération qui a connu la crise financière de 2008, la putréfaction du régime Charest, la crise du Bloc et du PQ, l'unification et le développement de la gauche avec Québec solidaire. Cette génération a aussi observé le printemps arabe, le mouvement des indignés en Europe, Occupy Wall Street. Toutes ces influences étaient visibles à la manifestation de jeudi dernier.
On ne sait pas comment cette grève générale probable va affecter le mouvement étudiant ou la société québécoise dans son ensemble. On peut peut pas prédire l'issue de la lutte. Tout ce qu'on sait est que les associations étudiante vont être profondément affectées par cette mobilisation et que la société québécoise va s'en porter mieux, en général. On peut souhaiter que le mouvement reste uni dans l'action et dans ses rapports avec le gouvernement, au-delà des différences politiques et organisationnelles. C'est la mobilisation démocratique des étudiantes et des étudiants à la base qui sera le principal facteur encourageant cette unité. La discussion honnête entre les directions des différentes tendances du mouvement est également souhaitable. Si trahison il y a, on la dénoncera. Mais ne présumons pas que celle-ci soit inévitable. Une telle attitude mènerait probablement à une prédiction auto-réalisée.
Je suis souvent intervenu au sujet de l'histoire de ce mouvement - qui a été mon école de militantisme entre 1984 et 1996 - verbalement ou par écrit. Il n'est pas question ici de revenir sur l'ensemble de la question ou de raconter des anecdotes savoureuses. Je veux seulement revenir sur une des observations qui ressortent de mon travail antérieur sur le sujet. Chaque grève générale étudiante a eu un impact majeur sur le mouvement étudiant lui-même et à causé des changements dans les orientations ou la structure des grandes organisations étudiantes.
La grève de 1968 a mené à la mort de l'Union générale des étudiants du Québec (UGEQ), parce que ses principales associations affiliées, les associations générales des campus universitaires francophones, ont été dissoutes parce qu'on avait jugé qu'elles n'avaient pas été utiles durant la mobilisation.
Celle de 1974 (portant sur le régime d'aide financière) a mené tout droit à la fondation de l'Association nationale des étudiants du Québec (ANEQ, plus tard ANEEQ avec la féminisation du nom) le 22 mars 1975. La coordination du mouvement de grève au niveau national avait été nécessaire ainsi que la constitution d'un comité national de négociation.
Puis, en 1978, une grève portant également sur les prêts et bourses mais contre un gouvernement péquiste, allait mener à la première division du mouvement au niveau national, avec la séparation graduelle du Regroupement des associations étudiantes universitaires (RAEU), à l'origine un caucus dans l'ANEQ, puis à la fondation de la Fédération des associations étudiantes collégiales du Québec (FAECQ). Le fondement de cette division était carrément politique, avec les groupes de gauche et d'extrême-gauche d'un côté (celui de l'ANEQ) et les jeunes péquistes de l'autre (RAEU, FAECQ).
La 4e grève générale, en 1986, a été un triomphe pour l'ANEEQ, qui a fait reculer le gouvernement Bourassa dans son intention d'augmenter les droits de scolarité. Ceux-ci étaient gelés à 500$ par année depuis la grève de 1968. Cette victoire combinée au renvoi du PQ dans l'opposition en 1985 a achevé de désorienter le RAEU et la FAECQ qui n'avaient jamais mobilisé leurs membres et servaient essentiellement de tremplin pour la carrière de jeunes péquistes (dont André Boisclair). L'ANEEQ est alors redevenue le seul regroupement national étudiant pour quelques temps.
Celle de 1988 a été le début de la fin pour l'ANEEQ. Une tentative de grève offensive sur l'aide financière s'est terminée par une sorte de match nul avec le gouvernement et la démobilisation graduelle du mouvement, sans victoire claire. La porte était ouverte pour que des négociations entre quelques associations universitaires, qui étaient restées indépendantes depuis la mort du RAEU, jetent les bases d'une nouvelle fédération.
La défaite de 1990 a été marquée par plusieurs revirements. D'une part, la direction de l'ANEEQ, discréditée par son positionnement contre loi 101 en 1989 et son bilan jovialiste de la grève de 1988, n'arrivait pas à embarquer ses propres associations dans son plan d'action. Finalement, il y a eu une grève générale limitée à la grande région de Montréal et à Rimouski. La Fédération étudiante universitaire (FEUQ), toute nouvelle, s'était opposée au dégel, mais aussi à la grève et proposait comme solution l'Impôt post-universitaire (IPU). Quelques associations collégiales qui avaient refusées de même poser la question de la grève à leurs membres ont par la suite fondé la Fédération étudiante collégiale (FECQ).
On croyait alors revenir à la situation antérieure, avec le RAEU et la FAECQ. Mais l'avenir allait s'avérer plus compliqué. Contrairement à leurs prédécesseurs des années 1980, les dirigeants des Fédérations (FEUQ et FECQ) ont organisé des mobilisations de masse ponctuelles (des journées d'action, manifestations, etc.). On passait du syndicat de boutique (RAEU et FAECQ) au syndicalisme de concertation conflictuelle, à la mode dans le mouvement ouvrier dans la même période.
Pendant ce temps, l'ANEEQ est morte lentement et péniblement de ses dissensions internes et de son incapacité à donner au mouvement une nouvelle perspective stratégique claire suite à la défaite historique de 1990.
C'est la campagne contre la réforme Axworthy, une refonte des interventions du gouvernement fédéral dans les questions sociales, dont l'éducation post-secondaire, qui sera l'occasion de la prochaine mobilisation étudiante de masse (sans aller jusqu'à la grève illimitée). Cette lutte donnera l'élan pour la fondation du Mouvement pour le droit à l'éducation (MDE) en mai 1995. Mais entre temps, la FEUQ et la FECQ se sont consolidées et, désormais, c'est la gauche étudiante qui est minoritaire, contrairement à la situation du temps de l'ANEEQ.
C'est donc le MDE, en toute logique, qui sera à l'origine de la 7e grève générale étudiante, à l'automne de 1996, contre la politique de déficit zéro du gouvernement Bouchard qui menaçait d'inclure une nouvelle hausse des frais de scolarité et possiblement l'introduction de frais au collégial. Mais si le MDE était assez fort pour lancer le mouvement, il était trop petit pour le diriger et le représenter au complet. Il était aussi trop peu présent dans les universités pour que le mouvement de grève affecte plus qu'une poignée de départements. Durant cette grève, la FEUQ a freiné le mouvement jusqu'au bout, tandis que la FECQ s'est ralliée en chemin et à reculons quand quelques associations affiliées étaient déjà en grève.
Le portrait fut très différent lors de la grève suivante, la plus récente, à la session d'hiver 2005. Si l'Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ- successeur du MDE) a pris l'initiative du mouvement de grève, la FEUQ et la FECQ étaient aussi en mode mobilisation contre la coupe de 103 millions$ dans l'aide financière. La FECQ s'est ralliée au mouvement de grève générale assez rapidement et même la FEUQ a fini par lancer, pour la première fois de son histoire, un mot d'ordre de grève générale illimitée.
L'exclusion de l'ASSÉ des négocations avec le gouvernement a laissé un goût amer pour bien du monde, avec raison. Certains s'en sont pris agressivement aux dirigeants de la FEUQ en particulier (un comportement sectaire à l'extrême). Plusieurs ont parlé alors de trahison et défaite. Mais le fait est que les bourses ont été rétablies à leur niveau antérieur, quoi que graduellement. C'était, comme en 1968, en 1974, en 1986 ou en 1996, une victoire partielle et temporaire. Il ne peut pas y en avoir d'un autre type, à moins de faire la révolution mondiale...
Ce qui me ramène à la situation actuelle. Les principaux regroupements étudiants se sont réunis l'an dernier et se sont entendus pour ne pas mener de négociation séparée avec le gouvernement. La manifestation du 10 novembre était organisée conjointement par tous les regroupements, incluant l'ASSÉ et la FEUQ. On y a parlé abondamment, de la tribune, de la perspective d'une grève générale à la prochaine session. Tous ces faits sont sans précédent. Pouvons-nous quand même envisager que la direction de la FEUQ pourrait revenir à ses mauvaises habitudes et contribuer à la division du mouvement? C'est possible. Mais est-ce que c'est une fatalité? Je crois que non.
2012 ne sera pas 2005 ou 1996 ou 1986. C'est une nouvelle génération qui se mobilise. Une génération qui a connu la crise financière de 2008, la putréfaction du régime Charest, la crise du Bloc et du PQ, l'unification et le développement de la gauche avec Québec solidaire. Cette génération a aussi observé le printemps arabe, le mouvement des indignés en Europe, Occupy Wall Street. Toutes ces influences étaient visibles à la manifestation de jeudi dernier.
On ne sait pas comment cette grève générale probable va affecter le mouvement étudiant ou la société québécoise dans son ensemble. On peut peut pas prédire l'issue de la lutte. Tout ce qu'on sait est que les associations étudiante vont être profondément affectées par cette mobilisation et que la société québécoise va s'en porter mieux, en général. On peut souhaiter que le mouvement reste uni dans l'action et dans ses rapports avec le gouvernement, au-delà des différences politiques et organisationnelles. C'est la mobilisation démocratique des étudiantes et des étudiants à la base qui sera le principal facteur encourageant cette unité. La discussion honnête entre les directions des différentes tendances du mouvement est également souhaitable. Si trahison il y a, on la dénoncera. Mais ne présumons pas que celle-ci soit inévitable. Une telle attitude mènerait probablement à une prédiction auto-réalisée.
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