On a fait grand cas au cours de la récente campagne
électorale du fait que 70% environ de l’électorat était opposé à la tenue d’un
troisième référendum sur la souveraineté dans un proche avenir. En même temps,
les sondages indiquent qu’environ 40% de la population était favorable à la
souveraineté du Québec, au moins en théorie. Il y a donc un quart des
indépendantistes qui préféraient ne pas avoir de référendum, probablement parce
qu’elles et ils pensent qu’il serait perdant. En voyant aller le Parti
québécois de Bouchard à Marois, qui peut les blâmer?
C’est l’impasse dans laquelle se trouve le PQ depuis
plusieurs années. Lorsqu’il a promis de tenir un référendum, à l’élection de
2007, il s’est retrouvé troisième derrière l’ADQ. Cette fois-ci, en promettant
de ne pas le tenir « tant que la population de sera pas prête », il a
obtenu son plus mauvais résultat depuis 1970. Ce positionnement ambigu a permis
aux Libéraux de mobiliser leur base fédéraliste sans pour autant mobiliser
l’électorat souverainiste derrière le parti de Mme Marois.
Ce facteur n’a pas été le seul menant à leur défaite. Le
dégoût de bien des progressistes et des souverainistes devant la Charte des
valeurs et la démagogie de ses défenseurs faisait aussi partie de l’équation.
La politique économique et fiscale de centre-droite, avec les mesures d’austérité
et la capitulation devant le chantage des riches et du patronat sur la
fiscalité ont démobilisé une bonne partie de leur base traditionnelle, avec l’investiture
de PKP comme illustration parfaite d’un virage à droite irréversible. Bref, il
n’y a rien d’étonnant à ce que le PQ perde 400 000 votes en comparaison
avec l’élection de septembre 2012.
Pour la suite des choses, le PQ se retrouve devant des
questions existentielles majeures et des divisions profondes qui se sont
révélées lors de la course à la direction du Bloc québécois. Centrer le parti
sur la lutte pour l’indépendance permettrait de motiver une partie de la base
et de rallier ce qui reste d’Option nationale, mais ce serait au prix d’une
stagnation à long terme sur le plan électoral et possiblement d’une troisième
place en 2018. De l’autre côté, mettre l’option plus clairement en veilleuse en
s’engeant fermement à ne pas tenir de référendum advenant une victoire en 2018
ne garantit pas de meilleurs résultats étant donné la capacité de la CAQ à
jouer le rôle d’opposition de droite face aux Libéraux et l’effet démobilisant
d’une capitulation totale sur la question nationale.
Bref, le PQ est loin d’avoir trouvé la solution à ses dilemmes,
et il revient maintenant à Québec solidaire d’offrir une nouvelle vision de l’indépendance,
tant sur le contenu du projet que sur la manière d’y arriver. Le mouvement
indépendantiste se cherche et pourrait trouver dans les propositions de QS une
nouvelle avenue et dans notre parti un nouveau véhicule privilégié pour
avancer. Pour développer cette nouvelle stratégie, il faut d’abord être
conscient des défis que nous devrons surmonter.
L’allergie
référendaire est rationnelle
Il ne faut pas s’étonner de la réticence populaire face à
l’idée du référendum. C’est que le peuple québécois en a assez de se dire non
ou de se faire dire non. C’est tout ce qu’il a subi depuis 1980. D’abord, un Non
solide à la souveraineté-association (60%), puis l’exclusion du Québec de
l’accord constitutionnel de 1982, le Non du Manitoba et de Terre-Neuve à
l’accord du Lac Meech, le Non pan-canadien au référendum de Charlottetown, pour
finir avec le Non à 50,5% de 1995.
Le résultat de toutes ces défaites, subies tant par le camp
souverainiste que par celui du fédéralisme autonomiste qui domine la politique
québécoise depuis la Confédération, est que l’État fédéral se croit tout
permis, y compris la négation du droit même du Québec de décider de son avenir
avec la Loi sur la clarté. Les fédéralistes québécois n’ont plus d’autre projet
que l’acceptation du statu quo. Lorsque Philippe Couillard a évoqué en passant
la possibilité d’un nouvel accord constitutionnel, il a rapidement pédalé par
en arrière pour revenir à l’espoir vague d’une éventuelle ouverture venant du
reste du Canada.
La population en a assez aussi des déchirements et du
psychodrame collectif associés avec les épisodes référendaires. Chacun doit
alors choisir son camp et, dans le temps
déjà compressé qu’on accorde ordinairement aux campagnes électorales, il faut que le débat se fasse et soit
tranché. Cette formule n’est pas la
bonne si on veut débattre en profondeur des tenants et aboutissants d’un projet
politique définissant l’avenir d’une nation. En Écosse, par exemple, la date du
référendum, ainsi que la question, ont été déterminées deux ans d’avance et les
appuis pour le Oui sont en hausse constante depuis.
Pour une véritable
autodétermination : l'assemblée constituante
Mais on peut aller plus loin et se donner le temps et les
moyens d’un véritable exercice d’autodétermination collective, d’une
refondation démocratique de nos institutions et des règles fondamentales du
vivre-ensemble. C’est pourquoi la proposition de Québec solidaire d’une
assemblée constituante, un corps représentatif élu spécifiquement pour élaborer
une constitution, est un élément essentiel de toute solution acceptable et
durable à la « question nationale ».
Mais la formulation actuelle dans le programme ou la
plateforme de Québec solidaire sur le mandat de l’assemblée constituante est
trop flou pour satisfaire certains indépendantistes, sans pour autant rompre
jusqu’au bout avec le « référendisme » péquiste. On y confie une
sorte de chèque en blanc à l’assemblée pour développer une ou des propositions
constitutionnelles et déterminer la ou les questions du référendum. L’argument
le plus fort en faveur de ce mandat ouvert est que la constituante elle-même
deviendrait l’incarnation de la souveraineté du peuple et devrait avoir une
autonomie totale par rapport à l’Assemblée nationale qui n’aurait qu’à la
convoquer. Mais on oublie alors que cette assemblée serait, tout comme l’autre,
une démocratie indirecte, représentative. C’est dans le référendum, s’il est
préparé correctement, que la souveraineté populaire devrait trouver sa plus haute
expression.
Aussi, comme l’ont fait remarquer les signataires d’un
manifeste conjoint d’indépendantistes membres de Québec solidaire, d’Option
nationale et sans affiliations, ce mandat ouvert signifie que le référendum
promis par QS pourrait très bien ne pas porter sur un projet de pays mais sur
une constitution provinciale, si l’assemblée constituante en décidait ainsi.
(voir http://synergieonqs.wordpress.com/)
Mais de l’autre côté, exiger que la Constituante ne
développe qu’une proposition indépendantiste ne permettrait pas de rassembler
largement la population autour du débat sur la définition des contours de
l’éventuel pays. Les fédéralistes les plus convaincus seraient tentés de
boycotter toute l’opération en attendant de voter contre le projet lors du référendum.
Au mieux, l’assemblée constituante deviendrait une foire d’empoigne entre
fédéralistes et souverainistes pour le contrôle de la question référendaire.
Il convient donc que l’Assemblée nationale donne à
l’assemblée constituante un mandat à la fois clair et inclusif. Cette dernière
devrait élaborer deux projets de constitution : une nationale, l’autre
provinciale. Une bonne partie du texte pourrait être identique dans les deux
versions. Dans les débats de l’assemblée et les consultations populaires
qu’elle conduira, les fédéralistes auront l’occasion d’influence le projet des
indépendantistes et vice versa. On peut parier sur des convergences nombreuses
lorsqu’il s’agira de déterminer les droits des citoyennes et citoyens ou de
protéger constitutionnellement la langue française. On s’entendra certainement
aussi sur le principe de séparation des Églises et de l’État. Pourrons-nous
aller plus loin et développer un consensus pour une rupture avec la tradition
parlementaire britannique et un régime politique plus décentralisé, avec la
révocabilité des élu-e-s et une part de proportionnelle?
Faire avancer le
Québec ensemble
Cette formule permettrait des débats sereins et constructifs
à l’étape de la Constituante, ce qui préparerait le terrain pour une campagne
référendaire respectueuse et éclairante. Le résultat du référendum ne pourrait
alors qu’être positif pour le Québec. Pour les indépendantistes, le pire
scénario serait l’adoption d’une constitution provinciale incluant une bonne
partie des principes qui leur tiennent à cœur, et ce, à la suite d’une démarche
infiniment plus démocratique que celle ayant présidé à l’adoption de la
constitution canadienne. Ce serait un point de départ solide pour exiger le
transfert vers le Québec de nouveaux pouvoirs et un fédéralisme asymétrique.
Pour les fédéralistes, le pire résultat serait que le Québec
décide de faire son indépendance tout en garantissant un certain nombre de
droits dans sa loi fondamentale et en faisant du Québec un pays qualitativement
plus démocratique que le Dominion du Canada. Nous pouvons parier que dans un
débat participatif et inclusif de toutes les composantes de la nation, les
institutions de la communauté anglophone seraient respectées, de même que les
droits des minorités.
Il n’y a pas de garantie plus solide pour la défense des
droits que leur adoption par la majorité à travers un processus participatif.
Si bien des Québécoises et des Québécois considèrent aujourd’hui les droits de
la personne comme une idée étrangère, c’est parce qu’on leur a imposé la
constitution de 1982. À ce titre, le nationalisme conservateur, ce
communautarisme majoritaire qui a pollué les débats sur la laïcité, est l’héritage
du coup de force de Trudeau. Il en est de même de l’opinion de bien des
personnes appartenant à des groupes minoritaires à l’effet que seule la
constitution canadienne peut protéger leurs droits. Il appartient aux
indépendantistes de prouver le contraire en faisant reposer la défense des
droits de tous et toutes sur des assises plus démocratiques et conséquemment
plus solides.
Le principe du droit inhérent à l’autodétermination pour les
Premières nations devrait aussi aller de soi dans un texte constitutionnel du
21e siècle, qu’il soit national ou provincial. Leur participation au
processus devrait être aussi significative que chaque nation le décidera en
toute autonomie, et ce sans abandonner leur droit de ne pas se reconnaître dans
le résultat éventuel et de se gouverner elles-mêmes par ailleurs.
Le seul camp qui y perdrait à coup sur serait celui du statu
quo, celui du coup de force de 1982, de la Loi sur la Clarté et du mépris pour
les aspirations légitimes et les droits collectifs du peuple québécois. Cette
vision de l’assemblée constituante permettrait donc non seulement de donner à
la population le goût du pays (ce qui en fait la meilleure stratégie
indépendantiste), mais même le goût de débattre à nouveau des enjeux nationaux
et constitutionnels (pour réveiller la fierté des fédéralistes) et même le goût
de tenir un autre référendum, un référendum où les deux seules réponses
possibles seraient OUI.
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