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De quoi l’intégrisme est-il le nom?

Dans les débats récents à l’Assemblée nationale et dans les médias québécois, on a beaucoup usé du terme « intégrisme ». D’un côté, le gouvernement affirme qu’on ne peut pas le combattre sans brimer des droits fondamentaux comme la liberté d’expression et la liberté de religion. De l’autre, la CAQ et le PQ affirment qu’il faut le combattre pour défendre nos valeurs communes, comme l’égalité des droits. En fait, tout le monde est confus parce qu’on n’appelle pas les différents phénomènes politiques et religieux concernés par leur nom.

Quelques définitions

Commençons donc par définir quelques termes utiles. D’abord, le fondamentalisme religieux est le phénomène qui consiste à adopter une interprétation littérale des textes sacrés et à tenter de respecter, également à la lettre, tous les commandements qu’ils contiennent. Ce phénomène est assez répandu aux États-Unis chez les Évangélistes. Les Juifs ultra-orthodoxes sont aussi de cette veine, tout comme les Musulmans wahhabites d’Arabie Saoudite et leurs disciples dans d’autres pays, comme les Talibans ou le Groupe État islamique (ISIL). Certains de ces courants fondamentalistes sont très paisibles et cherchent simplement à s’isoler du reste de la société pour vivre en accordance avec leurs croyances, on pense aux Amish. D’autres se sentent imbus d’une mission politico-spirituelle et veulent sauver nos âmes par la force.

Ensuite, la politisation de la religion constitue un phénomène ancien et encore largement répandu. Mais tous les courants politico-religieux ne sont pas fondamentalistes, loin de là. L’Allemagne est présentement gouvernée par les Démocrate chrétiens, un parti conservateur et capitaliste ordinaire. Tous les présidents des États-Unis ont dû démontrer leur attachement au Christianisme pour se faire élire. Jusqu’en 1960, avec Kennedy, il fallait que ce soit une version protestante de cette religion. Dans les guerres civiles en Amérique Latine, on a retrouvé des prêtres catholiques autant dans la guérilla que du côté des dictatures que la guérilla cherchait à renverser.

L’arrimage de la politique avec la religion peut se faire à partir de toutes les religions et avec tous les courants politiques. En Iran, en 1979, il y avait des interprétations socialistes radicales de l’Islam tout à fait semblables à la théologie de la libération catholique. Parmi les courants politiques musulmans actuels, la plupart sont conservateurs, mais beaucoup sont non-violents par leurs méthodes et ont une interprétation moderniste (et non fondamentaliste) de la religion. Si on ne fait pas la différence entre les Frères Musulmans, un mouvement politique conservateur mais démocratique, et le parti salafiste Nour, ultra-fondamentaliste et violent, on ne peut pas faire autrement que de tomber dans le panneau de la dictature militaire. C’est l’alliance entre les syndicalistes, la gauche, les démocrates de toutes sortes et les Frères musulmans qui avait permis de renverser Moubarak en 2011.

Puis, on doit situer le conservatisme social, un refus des valeurs d’égalité et de diversité de la société contemporaine qui s’accroche aux « valeurs traditionnelles » pour rejeter notamment le féminisme ou l’acceptation de l’homosexualité. Ce courtant de pensée s’appuie souvent sur des conceptions religieuses, fondamentalistes ou non, mais il peut aussi être basé sur des idéologies non religieuses comme le nationalisme. Certains courants nationalistes conservateurs vont par exemple s’opposer au féminisme et au droit à l’avortement pour contraindre les femmes à rester à la maison en vue d’élever la prochaine génération de petits Canadiens-français blancs et réduire le recours économiquement nécessaire à l’immigration. On se souviendra aussi que les communistes de l’école stalinienne ont rétabli la criminalisation de l’homosexualité, après sa libéralisation consécutive à la révolution d’Octobre. De l’autre côté de ce débat, on retrouve des personnes croyantes de toutes les religions dans les mouvements féministes et les groupes de défense des droits des gaies et lesbiennes. Le lien entre conservatisme social et religion est loin d’être automatique.

De là, on arrive très souvent sans transition à parler d’incitation à la haine. Il y a pourtant une nuance très importante entre prêcher, par exemple, qu’une femme adultère risque de se retrouver en enfer au Jugement Dernier et affirmer que celle-ci mérite la peine de mort maintenant. Dans un premier cas, on se retrouve avec un cas de conservatisme social ordinaire appuyé par une interprétation patriarcale de la religion. Dans l’autre, on tombe dans l’incitation à la haine et à la violence. Le premier problème relève de l’éducation et du débat social et politique, il faut le combattre sur le terrain des idées et de la culture. Le second est d’ordre criminel et mérite des mesures de répression.

Permettons-nous enfin de définir le terrorisme, au moment où le gouvernement Canadien s’efforce de lui donner la définition la plus vague possible dans le but de justifier la répression contre toutes sortes de dissidences. Le terrorisme est une tactique militaire qui consiste à cibler des civiles en vue de démoraliser et d’intimider le camp adverse ou d’y provoquer un changement d’orientation politique. C’est une tactique qui est aussi ancienne que la guerre elle-même et qui a été employée, à notre époque, par des courants politiques aussi divers que les nationalistes vietnamiens, les républicains irlandais, les anarchistes russes et la gauche palestinienne.

Toutes les religions condamnent explicitement le meurtre de civiles et d’innocents, même quand elles justifient la guerre dans certaines circonstances. L’association du terrorisme avec la religion est donc une aberration. C’est le résultat indirect de deux phénomènes déjà mentionnés : la politisation de la religion et l’adoption du terrorisme comme tactique militaire. Comme la guerre est une extension de la politique et le terrorisme une forme de guerre, la politisation de la religion peut en venir à justifier, avec un discours politico-religieux alambiqué, un acte terroriste. Mais parler de « terrorisme islamique », comme l’a très justement déclaré Barak Obama, est une capitulation devant les prétentions religieuses des terroristes en question et un abandon des authentiques valeurs de l’Islam. Il n’y a rien de musulman dans le terrorisme, sauf le fait que certains terroristes se croient quand ils justifient leurs actions au nom d’une interprétation tordue de leur religion.

Alors on fait quoi?

Les réponses qu’une société démocratique, pluraliste et égalitaire devrait donner aux différents phénomènes mentionnés ci-dessus sont nombreuses et devraient s’articuler selon la nature de chaque problème. Donnons quelques exemples.

Pour combattre le fondamentalisme religieux, l’inclusion du programme Éthique et culture religieuse (ECR) comme cours obligatoire dans toutes les écoles québécoise est une mesure essentielle. En effet, il n’y a rien de plus étranger au fondamentalisme que l’acceptation d’une pluralité de conceptions du monde, religieuses et non religieuses, et la reconnaissance d’une diversité d’interprétations et de pratiques dans sa propre tradition. Idéalement, il faudrait que ce cours soit obligatoire rétroactivement pour toute la population du Québec! On arrêterait peut-être de caricaturer certaines religions et de tout confondre. L’éducation scientifique est également importante, pour donner à tous les enfants du Québec les connaissances générales qui vont leur permettre de questionner des dogmes absurdes comme le créationnisme. Apprendre à distinguer ce qui relève de la foi et ce qui est du ressort de la raison devrait, plus généralement, être une finalité de l’ensemble de notre programme scolaire. Toutes les religions peuvent être compatibles avec la science et avec la démocratie et le respect des droits de la personne. Il faut à la fois enseigner cette vérité (dans le cours ECR) et renforcer sa réalisation (par le programme éducatif dans son ensemble).

Pour défendre le principe de l’égalité des sexes contre le conservatisme social, il faudrait d’abord que le gouvernement reconnaisse la valeur du travail accompli par les femmes dans notre société, en commençant par celles qui travaillent pour le gouvernement lui-même, dans la fonction publique et les services publics comme la santé et l’éducation. Au lieu de cela, le régime Couillard est parti en guerre contre les 450 000 travailleuses et travailleurs du secteur public, dont la majorité sont des femmes, en leur demandant de travailler plus pour un salaire déclinant, de prendre leur retraite plus tard, d’accepter plus de précarité, etc. L’affirmation du Premier ministre, durant la campagne électorale, à l’effet que « seul le secteur privé crée de la richesse », en plus d’être erroné sur le plan strictement économique (c’est le travail qui crée la richesse, comme l’ont démontré tant Adam Smith que Karl Marx), est une vision sexiste de l’économie, étant donné que la plupart des emplois bien rémunérés dans le privé sont occupés par des hommes. Ce mépris du travail des femmes est en harmonie complète avec le conservatisme social qui voudrait les cantonner dans leurs rôles traditionnels et le travail gratuit pour divers membres de leur famille et pour leur communauté.

Pour combattre la politisation de la religion et la récupération des croyances religieuses à des fins partisanes, il faut mettre fin à la torture du débat sans fin sur la laïcité et affirmant très clairement que l’État québécois est laïque, qu’il en est de même de nos institutions publiques financées par l’État et que la neutralité religieuse de ces institutions sert précisément à permettre l’inclusion de toutes les personnes dans ces institutions, indépendamment de leurs croyances. En effet, la forme que prend la politisation de la religion dans notre société (heureusement dénuée de partis politiques identifiée à des religions particulières) est précisément la récupération de l’hostilité envers la religion en général ou certaines religions en particulier à des fins politiques. C’est ce que représentait l’opération « Charte » du PQ. On en voit un nouvel exemple avec la « police des valeurs » proposée par la CAQ.

Un État laïque ne devrait ni encourager les croyances religieuses ni les condamner. Que l’État cesse de subventionner les religions, par le financement public des écoles privées religieuses ou les exemptions fiscales, par exemple. Qu’on déplace le crucifix qui avait été installé par Duplessis au-dessus du siège du président de l’Assemblée nationale explicitement pour symboliser l’union de l’Église et de l’État. Qu’on affirme une fois pour toutes que tant la promotion de la religion que sa critique sont des affaires privées qui n’ont pas leur place dans la vie politique. C’est aussi ça la laïcité!

À quoi sert donc le mot « intégrisme »?


En conclusion, l’intégrisme est un terme fourre-tout qui permet de faire toutes sortes d’amalgames, allant du terrorisme médiéval du Groupe État Islamique aux « prêches » conservatrices de certains imams et jusqu’au hijab de certaines femmes musulmanes féministes et de gauche! C’est un mot nuisible aux débats, tout comme le mot « voile », également très employé en France. Sarkosy vient d’en faire la démonstration avec sa déclaration à l’effet que les « femmes voilées » ne sont pas les bienvenues dans son pays. Il voulait semble-t-il parler des femmes qui portent la burka ou le niqab, ce qui est déjà discriminatoire, mais pas de celles qui portent le hijab. Alors pourquoi continuer d’appeler le foulard islamique un « voile »? Uniquement parce qu’on cherche à l’interdire et que le mot frappe plus fort. 

C’est la même chose avec « l’intégrisme ». Comme le but est de stigmatiser l’ensemble des Musulmans, peu importe leurs idées (fondamentalistes ou modernistes, démocratiques ou dictatoriales, progressistes ou conservatrices, etc.), le mot est fort utile. Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage. Ne pas discriminer entre différentes idées et pratiques politiques et religieuses en les mettant dans une catégorie parapluie vide de sens ne peut que servir à justifier de la discrimination. « Intégrisme » est le mot qui cache le mieux l’islamophobie et la xénophobie en leur donnant des airs de lutte pour la laïcité et l’égalité. Qu’on l’élimine donc de notre vocabulaire. 

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