Vous en avez assez d’attendre
l’arrivée du pays. Vous êtes prêts à tout pour qu’il advienne « avant la
fin de vos jours » ou simplement au plus vite. Et vous croyez que la
solution toute trouvée à la crise actuelle du mouvement indépendantiste
consiste à réunir tous les partis qui s’en réclament dans une grande alliance contre
les fédéralistes aux prochaines élections. Pour vous, l’indépendance n’est « ni à
gauche, ni à droite, mais en avant » et il convient de mettre « la
patrie au-dessus des partis » pour un temps, quitte à reprendre les
batailles sociales et politiques sur tout le reste une fois réalisé l’objectif
commun.
Nous sommes d’accord
sur un point, et c’est que toutes choses étant égales par ailleurs, il est
préférable que le Québec soit indépendant. Ce serait un atout précieux pour
assurer la pérennité du fait français en Amérique du Nord, le Québec ayant
toute l’autorité nécessaire pour réguler les activités du secteur privé, en
plus de rapatrier les fonctions (et les milliers d’emplois) actuellement assumées
par des institutions fédérales « bilingues ». De plus, les nouveaux
arrivants sauraient dans quel pays ils arrivent, ce qui réduiraient la
probabilité de leur adhésion à l’identité canadienne et à la langue anglaise. L’indépendance
serait aussi probablement l’occasion de réformer nos institutions dans un sens
plus démocratique, en rupture avec la tradition monarchiste britannique. Tout
dépendant de comment on y arriverait.
L’indépendance est
radicale
Le problème est que
rien n’est jamais « égal par ailleurs » dans la vraie vie politique. L’indépendance
est forcément une rupture avec les institutions en place, celles de l’État
canadien. Ces institutions politiques sont d’ailleurs parmi les plus stables au
monde. Nous ne sommes pas dans une situation de crise totale comme avec la
décolonisation ou l’effondrement du Bloc de l’Est. (Et ces nombreux cas d’accession
à l’indépendance ont souvent fait l’objet de luttes féroces !) L’idée qu’on
pourrait réaliser une séparation facile, « à l’amiable », avec l’État
canadien est une illusion pernicieuse véhiculée par le Parti québécois et qui a
désarmé le mouvement indépendantiste. Est-ce que nous n’avons rien appris de la
Crise d’Octobre, de la campagne de peur de 1980 ou du déluge « d’amour »
financé frauduleusement par les commandites en 1995 ? La Loi sur la Clarté n’est
pas un accident de parcours. L’État fédéral se prépare soigneusement à nier
notre droit à l’autodétermination avec toutes les ressources intellectuelles,
financières et répressives qui sont à sa disposition.
La seule force sociale
capable de briser la résistance de l’État canadien et d’imposer la souveraineté
du peuple est la mobilisation déterminée de la majorité de la population. Une
telle mobilisation ne sera pas le produit d’une campagne référendaire ou
électorale menée d’en haut par une petite équipe d’experts en communication
politique. Il faut qu’elle émerge des luttes sociales concrètes autour des
enjeux qui interpellent les gens et leur donnent le goût de passer à l’action
et de prendre des risques. La bataille actuelle contre les politiques d’austérité
du gouvernement Couillard en est un bon exemple. La grève étudiante de 2012 en
est un autre. Les mobilisations citoyennes contre les projets gaziers et
pétroliers et contre les oléoducs sont du même ordre. C’est à coup de victoires
partielles sur une multitude de terrains que le peuple québécois pourra se
constituer en acteur politique et cesser de subir la colonisation des esprits.
Le Parti québécois
fait partie du problème
À deux reprises déjà,
le congrès de Québec solidaire s’est prononcé contre toute forme d’alliance
électorale avec le PQ et pour que notre parti présente des candidatures dans
toutes les circonscriptions. Il ne s’agit pas d’un caprice ou d’un excès de
partisannerie mais de l’application concrète de nos principes. Québec solidaire
existe parce que ses membres ont constaté, à un moment ou un autre de leur vie
citoyenne, que le Parti québécois n’était pas un allié dans les nombreuses
luttes dans lesquelles ils et elles étaient engagé-e-s, y compris la lutte pour
le pays.
Pour ma part, c’était
en 1982, quand le gouvernement Lévesque s’est retourné contre les travailleuses
et travailleurs du secteur public et a nié leurs droits démocratiques pour
réduire son déficit et satisfaire les milieux financiers. Pour plusieurs, le
moment crucial a été l’adoption de la politique de déficit zéro par le gouvernement
Bouchard en 1996. Et le bref passage au pouvoir du PQ de Mme Marois nous a
confirmé dans nos jugements sur ce parti. Ce gouvernement a appuyé les projets
pétroliers, cédé devant « l’angoisse fiscale » des riches, imposé l’indexation
des frais de scolarité, bref il a poursuivi sur la lancée des politiques
précédentes, ce qu’on appelle aujourd’hui l’austérité.
Aussi, pour moi, le
peuple québécois est composé de toutes les personnes qui choisissent de vivre
au Québec et nous devons défendre les droits de toutes les catégories de cette
population, peu importe leurs origines ou leurs croyances. J’étais convaincu
que le Parti québécois, malgré les déclarations malheureuses plutôt rares de
certains de ses dirigeants, était attaché à ce principe et cherchait à inclure « les
humains de l’horizon » dans son projet de pays.
C’est pourquoi j’ai
été profondément choqué, je dirais même blessé, par le tournant « identitaire »
adopté par le PQ suite à sa défaite historique de 2007, en troisième place
derrière l’ADQ du démagogue de droite Mario Dumont. L’idée que la nation
québécoise serait menacée dans son intégrité par le fait que quelques femmes
travaillant dans les services publics cachent leurs cheveux avec des foulards
est non seulement absurde mais dangereuse. Cette « panique laïque » s’inscrit
dans un contexte mondial de guerres sans fin légitimées par la caricature des
sociétés à majorité musulmane. Peu importe les justifications philosophiques et
les bonnes intentions de certains partisans de la laïcité « à la française »,
il se trouve que ce modèle est un désastre qui ne fait que nourrir à la fois l’extrême-droite
xénophobe d’une part et le fanatisme religieux violent de l’autre.
Pour le mouvement
indépendantiste, le fait d’adopter ce type de discours et de justifier,
explicitement ou subtilement, la discrimination et le mépris envers certaines
minorités, signifie un retour à une vision étroite de l’identité québécoise,
plus proche du Canada français de Duplessis que du Québec de Lévesque. Pour ma
part, j’adhère à l’interculturalisme, c’est-à-dire l’idée que le peuple
québécois est un ensemble vivant et donc changeant et que son avenir passe par
la convergence de nouveaux éléments autour du centre historique
canadien-français. Autrement dit, la seule manière de maintenir le lien avec l’histoire
est de s’orienter vers l’avenir et d’accepter le changement. Exclure d’avance
ceux et celles qui pourraient ne pas s’identifier spontanément aux Patriotes ou
aux censitaires de la Nouvelle-France nous condamne à un rétrécissement sans
fin jusqu’à la peau de chagrin.
Nous avons maintenant
subi trois campagnes politiques intenses de la part du « camp
souverainiste » sur cette base : la Charte des valeurs, la campagne
électorale québécoise de 2014 et la campagne du Bloc québécois l’automne
dernier. Le résultat de ces trois campagnes a été de braquer bien des gens qui
étaient soit souverainistes ou ouverts à le devenir dans le camp des Libéraux
(provinciaux ou fédéraux), le parti du fédéralisme inconditionnel. Le dommage
causé à la cause par ces opérations politiques démagogiques est difficile à
mesurer. Peut-être est-il irréparable. Toujours est-il qu’il n’y a aucun signe
de remise en question de cette stratégie du côté du PQ ou du Bloc présentement
et qu’il revient donc aux autres organisations indépendantistes de travailler à
réparer les pots cassés.
Aussi, la logique du
tournant identitaire du PQ n’est pas une radicalisation indépendantiste mais
une dérive vers l’autonomisme. C’était le sens de la « gouvernance
souverainiste » de Mme Marois. Si le « nous » québécois ne
comprend que la majorité historique enracinée en Nouvelle-France, il est bien
vrai, comme le disait Péladeau, que nous « perdons un comté par année »
avec l’immigration. Avec une telle vision, l’indépendance devient un slogan nostalgique
et n’a plus rien d’un projet concret. Le seul espoir qui reste est celui de la
survivance en se repliant sur les institutions provinciales. Legault l’a bien compris avec son tournant
nationaliste pour la CAQ. Face à un PQ confus et au bord de sa nième crise
existentielle, il saura jouer sur l’identitaire à plein sans soulever les peurs
associées à l’indépendance. Ce faisant, il fera pression sur le PQ pour qu’il
mette encore une fois la souveraineté en veilleuse sous peine de subir un sort
similaire à celui de 2007 ou à ce que vient de vivre le Bloc.
Alors, on fait quoi ?
Certains parmi vous me
diront : « Il reste tout de même la souveraineté comme point commun
et le nouveau chef du PQ est un indépendantiste convaincu ! ». Je ne
remets aucunement en question la sincérité de M. Péladeau. Son poing levé au
début de la campagne de 2014 était trop malhabile pour avoir été un calcul
cynique. Le fait est cependant qu’il ne s’est engagé à strictement rien sur le
plan de la lutte pour l’indépendance jusqu’à maintenant, sauf la création d’une
sorte de « think tank » souverainiste qui va produire des études.
Rien n’indique qu’il ait l’intention de faire autre chose que Mme Marois, c’est-à-dire
de faire part de ses convictions souverainistes en prenant bien soin de ne pas
promettre de tenir un autre référendum ou d’enclencher un quelconque processus
pouvant mener à l’indépendance.
Le problème est que le
déclin des appuis pour l’indépendance est le produit du travail de sape du PQ
lui-même, tant par sa « peur de faire peur » et son déni de la
difficulté de la lutte que par sa servilité face aux intérêts du grand capital
lorsqu’au pouvoir et, depuis quelques années, son mépris pour les droits des
minorités et sa démagogie xénophobe.
Une autre perspective
Dans cette situation,
vous comprendrez que nous hésitons beaucoup à associer notre parti
indépendantiste de gauche au Parti québécois. Notre objectif ne devrait pas
être de chercher à redorer le blason progressiste d’un parti qui a choisi un
patron brutalement antisyndical comme chef, mais plutôt d’exprimer notre
solidarité active avec les luttes des travailleuses et travailleurs. Se frotter
au PQ de PKP n’aurait pas pour effet de rallier la population autour d’un
projet commun mais de discréditer notre parti aux yeux de bien des gens avec
qui nous devons nous unir pour mener toutes sortes de luttes, dont la lutte
pour l’indépendance.
L’avenir de la lutte
indépendantiste passe donc par le développement d’un mouvement qui se situe en
rupture totale avec la stratégie péquiste passée et actuelle. Un mouvement qui
place la souveraineté du peuple, la démocratie participative et la mobilisation
citoyenne au cœur de sa stratégie. Un mouvement qui converge et se recoupe avec
les mouvements sociaux pour l’écologie, le féminisme, la paix et la justice
sociale. Ce mouvement pourra compter sur Québec solidaire pour ramener à l’Assemblée
nationale des projets politiques concrets et rassembleurs comme l’assemblée
constituante.
Bref, il faut en finir
avec le mythe de la « grande famille souverainiste ». Québec
solidaire n’a pas été formé, il y a bientôt dix ans, pour servir de Robin de
gauche à côté d’un Batman péquiste. Nous serons les héros et les héroïnes de
notre propre histoire. Je vous invite à l’écrire avec nous!
Bien écrit et cela résume bien je trouve l'analyse de bien des membres/sympathisant-es de QS.
RépondreSupprimerJe vous rappellerai que selon le sondage pré-électoral de Léger de janvier 2014, 32 % des personnes dont l’intention de vote allait à Qs se disaient d’accord avec la Charte du PQ ! Mais Qs fait comme les autres partis, ignorer ceux-celles qui ne sont pas d’accord , les combattre puis maintenant essayer de les faire taire. Lors du dernier CN, on a refusé de remettre la question de la laïcité sur la table lors du prochain Congrès, même si plusieurs instances de QS, dont le CCN le recommandaient ! Belle inclusivité, vraiment !
SupprimerTout à fait. En PKP, le Québec inc. a trouvé son hybride italo-français Berlusconi-Sarcosi
SupprimerL"histoire que vous relatez et les visions politiques actuelles de QS et du PQ qui sont bien divergentes me laissent intransigeant depuis longtemps quant à un éventuel rapprochement significatif.
RépondreSupprimerExcellent texte!
RépondreSupprimerOuf quelle incongruence !
RépondreSupprimer«La seule force sociale capable de briser la résistance de l’État canadien et d’imposer la souveraineté du peuple est la mobilisation déterminée de la majorité de la population.»dites-vous ?
La majorité…. dont vous excluez dès le premier paragraphe un grand nombre avec lesquels vous n’êtes pas d’accord sauf sur un point dites-vous: il vaut mieux que le Qc soit indépendant
Vous excluez ensuite le PQ et les 25% de la population qui a voté pour ce parti, les 52% de québécois ( sondage Léger sept 2103 ) qui étaient d’accord avec la Charte du PQ que vous dénoncez comme une abomination, et 32% des personnes dont l’intention de vote allait à Qs (selon le sondage pré-électoral de Léger jv 2014) qui se disaient en accord avec cette même Charte.Il ne reste finalement plus grand monde à qui vous associer…
Paradoxalement vous affirmez qu’«exclure d’avance ceux et celles qui pourraient ne pas s’identifier spontanément aux Patriotes ou aux censitaires de la Nouvelle-France nous condamne à un rétrécissement sans fin jusqu’à la peau de chagrin». Interdire le port de signes religieux SEULEMENT dans la fonction publique et SEULEMENT pendant les heures de travail reviendrait à exclure de la société ces personnes ? Ben voyons donc !
Par contre il vous semble logique d’exclure dans une collaboration la majorité pour inclure une minorité qui elle demande à la majorité de mettre de côté sa culture pour accomoder déraisonablement la sienne. On finit par se peinturlurer dans le coin. Dommage parce que Qs demeure le seul parti de gauche véritable et viable.