La France a souvent été le lieu d’expérimentations politiques ayant par
la suite été généralisées ou adaptées dans d’autres contextes. C’est à elle
notamment qu’on doit les expression « gauche » et « droite »
pour décrire le spectre des options politiques. Dans le cas du cycle électoral
du printemps 2017, cette vieille polarisation, sans disparaître, laisse place à
une majorité s’affirmant au-delà de cette division, en même temps qu’à un
éclatement du paysage politique. Bien des phénomènes qu’on peut y observer
pourraient être annonciateurs de ce qui guette d’autres démocraties
parlementaires au cours des prochaines années.
Désengagement et mobilisation
En cette saison électorale, le taux d’abstentions et de votes blancs ou
nuls a été sans précédent depuis la fondation de la Ve république en 1958. Même
au second tour des présidentielles, lorsque le choix était plutôt contrasté et
que chaque vote comptait, le tiers de l’électorat a décidé de ne pas voter du
tout ou d’annuler son vote. Quant au second tour des législatives, quand les
choix étaient souvent limités entre deux partis assez proches politiquement (le
parti de Macron vs la droite traditionnelle, par exemple), 57,4% des inscrits
ne se sont pas présentés aux urnes. Parmi les votants, près de 10% ont annulé
leur bulletin. Si bien que 440 député-e-s sur 577 n’ont pas obtenu l’appui de
25% ou plus de leur électorat potentiel.
Face à ce niveau de désengagement, les appels de la France insoumise
pour une refondation des institutions politiques, une sixième république issue
d’une assemblée constituante, prennent toute leur pertinence. Aussi, la
légitimité du nouveau pouvoir pour mener des réformes significatives sera
confrontée à cette autre légitimité, celle de la rue, comme l’ont fait
ressortir les porte-parole de la nouvelle gauche combative, dont Jean-Luc
Mélenchon, qui a obtenu une belle victoire à Marseille avec 60% des voix. La
capacité à « faire sortir le vote », en mobilisant sa base et en
osant générer de l’enthousiasme sont des facteurs plus déterminants que jamais
dans ce climat dominé par l’indifférence. L’échec des Démocrates sur ce plan,
dans quelques États clés, expliquent aussi en bonne partie la victoire de
Trump.
Crise des vieux partis et renouveau
L’effondrement du Parti socialiste (PS) est d’une brutalité à couper le
souffle. Cinq ans après avoir remporté la présidence et la majorité des sièges,
son candidat (Benoit Hamon) est arrivé cinquième au premier tour de la
présidentielle et son groupe parlementaire est réduit à 30 députés plus une
dizaine d’alliés. De plus, parmi les élu-e-s, il s’en trouvera probablement
quelques-uns, qualifiés de « macron-compatibles » pour voter la
confiance au gouvernement. Pas étonnant quand on constate qu’une bonne partie
de l’appareil politique de la République en marche (REM), le parti du
président, est issue du PS. Macron lui-même a été conseiller puis ministre dans
le gouvernement Hollande. Ce qui reste du PS pourrait éclater en petites
chapelles politiques ayant chacune leur approche bien distincte sur la question
des rapports à entretenir avec, sur leur droite, le nouveau gouvernement, et
sur leur gauche, les contingents de la France insoumise et du PCF.
Quant à la droite traditionnelle, sa défaite n’est pas aussi cinglante
avec 130 députés. Mais sa division est tout aussi profonde. Plusieurs têtes d’affiche
du parti Les Républicains sont au gouvernement, dont le premier ministre Gérard
Philippe. Une bonne partie du groupe parlementaire, qu’on désigne comme les « constructifs »,
sont tout aussi macron-compatibles que la droite du PS. D’autres, plus
conservateurs sur les questions sociales, l’immigration ou la sécurité,
pourraient converger avec les « divers droites » et même avec le
Front national. Entre les deux, pas beaucoup d’espace pour une droite dont le
programme sera en bonne partie mis en œuvre t par le gouvernement. S’opposer
pour s’opposer ne fera pas une politique.
La nouvelle Assemblée nationale comptera 434 nouveaux visages, soit 75%
du total. Au total, 38,6% seront des femmes, un niveau jamais vu en France et près
de 12 points de plus qu’à l’élection de 2012. L’assemblée rajeunit aussi avec
une moyenne d’âge de 48,6 ans au lieu de 54 ans dans l’ancienne législature. Ce
rajeunissement et cette féminisation sont dus principalement aux efforts des
tout nouveaux partis que sont la République en marche (REM) du président Macron
et la France insoumise (FI) menée par Jean-Luc Mélenchon. Aucun de ces deux
partis n’existait il y a à peine deux ans. Le Front national (FN) et le Parti
communiste (PCF) comptent de leur côté le de moins de femmes et de jeunes dans
leur députation.
Pour le PCF, dont le lent déclin se poursuit depuis les heures de gloire
de l’Union de la Gauche avec le PS de Mitterrand dans les années 1970, il va
falloir choisir entre un isolement potentiellement fatal et une collaboration
avec la France insoumise qui détient deux fois plus de députés, dont plusieurs
ont été élus dans de vieux bastions communistes comme le département de
Seine-Saint-Denis. Une recomposition d’ensemble de la gauche incluant la
tendance Hamon du PS, aux accents altermondialistes, la FI de Mélenchon, le PCF
et divers députés de gauche sans affiliation (dont plusieurs dans les
départements d’outre-mer) pourrait permettre de constituer une opposition forte
et de faire émerger une alternative de gauche face au consensus d’extrême-centre
de Macron. Mais les questions de l’Europe et de la politique étrangère seront
des obstacles importants sur cette voie, Hamon et son groupe étant farouchement
attachés à l’Union européenne et à l’OTAN, tandis que la FI et le PCF sont
issus de la campagne du Non au traité européen en 2005 et peuvent être
qualifiés d’eurosceptiques.
Polarisation et ralliement au centre
Au bout du compte, cette remise en question complète du paysage
politique est le résultat d’un phénomène contradictoire. D’une part, on
remarque une polarisation avec le renforcement tant de l’extrême-droite du
Front national (avec 10 millions de voix et 33% au second tour de la
présidentielle) que de la nouvelle gauche qui s’est coalisée autour de la
candidature de Mélenchon (arrivé 4e avec 19% au premier tour). Le FN
a subi un revers avec la contre-performance de Marine Le Pen entre les deux
tours de la présidentielle et un résultat décevant aux législatives, avec
seulement 8 députés. De son côté, le vote FI s’est tassé considérablement entre
les 7 millions pour Mélenchon le 23 avril et les 2,5 millions de voix au
premier tour des législatives. Une vague de ralliement de l’électorat de gauche
autour de sa candidature, perçue comme la seule de son camp à pouvoir aspirer
au second tour, a compté largement dans le succès du 23 avril. Mais la tendance
lourde est tout de même au renforcement des deux extrêmes.
Face à cette double menace, le ralliement très large autour d’Emmanuel
Macron a toutes les apparences d’une unification des forces politiques de la
routine habituelle. Son gouvernement et son parti vont chercher des têtes d’affiches
(incluant des ministres) tant du côté du mouvement écologiste que de la droite
traditionnelle, des gros morceaux du PS et la majorité des « centristes »,
notamment chez le Mouvement démocratique (Modem) de François Bayrou. Leur crédo ?
Un mélange de libéralisme social (droits LGBTQ, parité des candidatures et des
ministres, antiracisme officiel), d’attachement sans nuance à l’Europe, et de
technocratie économique fondée sur l’orthodoxie néolibérale. Les parallèles
avec le gouvernement Trudeau sont frappant à cet égard. Ça rappelle aussi le Parti
démocrate étasunien de Clinton ou Obama.
Si cette expérimentation politique devait mener à un échec, ce qui sera
mesuré principalement par le taux de chômage (chroniquement élevé) et la
croissance économique (presque nulle), on peut parier sur le fait que les deux
grands courants d’opposition à ce consensus libéral, le FN d’un côté et la FI
de l’autre, vont en sortir renforcés. Aussi, le capitalisme nous a habitués
depuis près de 200 ans à des crises cycliques aux 8 à 12 ans environ. Une
récession devrait donc frapper durant le quinquennat de Macron. On peut donc se
consoler de la victoire facile de Macron et de son parti en constatant que la
possibilité d’une recomposition à gauche semble plus probable, surtout si les
luttes sociales sont au rendez-vous, que l’élargissement des appuis de l’extrême-droite.
L’original plutôt que la copie
Il semble bien que ce soit une règle générale que l'électorat préfère
l'original à la copie. En France, le Parti socialiste a gouverné comme un parti
de centre-droite et donné raison aux technocrates du néolibéralisme à
l'européenne pendant plusieurs années. Résultat, il est maintenant décimé au
profit d'une nouvelle grande coalition de centre-droite dirigée par un de ses
anciens ministres. En même temps, à force de donner raison au Front national et
de tomber dans le piège de la lepénisation des esprits, la droite ordinaire et
la gauche modérée ont donné une crédibilité au Front national, ce qui lui a
donné 10 millions de voix au second tour. Même si ce vote s’est considérablement
tassé par la suite, avec 3 millions au premier tour des législative, la « normalisation »
du FN est presque un fait accompli. En fait foi, notamment, la force du courant
favorable à l’annulation ou à l’abstention à gauche lors du second tour des
présidentielles.
Chez nous, en choisissant Lisée comme chef, avec la mise en veilleuse de
la souveraineté, le PQ a donné raison à la CAQ qui a toujours affirmé que le
nationalisme québécois devait mettre de côté l'indépendance et se replier sur un
protectionnisme économique (Québec inc.) et des mesures dites identitaires sur
la langue et l'immigration. Résultat, le PQ descend tranquillement dans les
sondages et la CAQ monte au point de s'imposer comme le principal adversaire
des Libéraux. Au fédéral, le NPD avait tenté de se présenter comme un meilleur
parti libéral que les Libéraux, choisissant même un ancien ministre libéral
provincial comme chef. On connait la suite.
À l'opposé, les gens apprécient la sincérité et la fidélité aux
principes. En font foi la campagne fantastique de Bernie Sanders face à la
machine des Démocrates, le succès de Jeremy Corbyn contre les bonzes du New
Labour, la vague d'appuis qui a presque poussé Mélenchon devant Le Pen au premier
tour de la présidentielle. Il semble donc que l'avenir appartienne à ceux et
celles qui tiennent bon et affirment haut et fort leurs idéaux.
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