Peu
de personnes ont marqué l’évolution de la gauche québécoise autant que Pierre
Vallières. Issu d’un milieu ouvrier, il a participé au cours des années 1960 à
des publications influentes telles Cité libre et Parti pris. Devenu résolument
indépendantiste et socialiste, il fut un des inspirateurs du Front de
libération du Québec. Après la crise d’octobre 1970, il publie un essai
(L’urgence de choisir) appelant toute la gauche indépendantiste à se joindre au
très jeune Parti québécois.
C’est
en 1977 qu’il publie Un Québec impossible,
l’essai qui marque la fin de son appui pour le Parti québécois. Pour lui, il
est déjà évident, quelques mois après la victoire surprise du 15 novembre 1976,
que le PQ n’a aucunement l’intention ou la capacité de mener une lutte
déterminée pour l’indépendance. En fait, le contenu de son projet, de plus en
plus aligné sur le consensus nord-américain, n’a plus rien d’indépendantiste.
Il revient à quémander une meilleure place pour l’État colonisé québécois dans les
ensembles canadien et continental. Alors qu’il devrait s’inscrire dans une
lutte anti-impérialiste et anticoloniale, notamment en solidarité avec les
luttes des Autochtones.
Pour
Vallières, cette capitulation tient à plusieurs facteurs. D’une part, la masse
de la population est attachée au niveau de consommation que lui permet son
intégration économique avec le reste du continent. Le fait que cette
consommation soit superficielle dans son contenu et incompatible avec les
équilibres écologiques devrait, selon lui, nous amener à la remettre en question.
Mais un projet cherchant à changer la vie plutôt qu’à consommer toujours plus
se fait toujours attendre. En parallèle, le modèle de développement économique
privilégié par les élites québécoises, qu’elles soient fédéralistes ou
souveranistes, est également axée sur une dépendance de plus en plus grande
envers les milieux financiers de Wall Street et la capacité à exporter vers les
États-Unis. Il dénonce l’entente de la Baie James comme une fuite en avant dans
un néocolonialisme (opprimant les Cris et les Inuits) au service de l’économie
étasunienne (toujours avide d’énergie à
bon marché).
En
termes de stratégie politique, cette dépendance économique continentale se
traduit chez le gouvernement Lévesque par la recherche de compromis avec l’État
canadien (« nouvelle entente », « souveraineté-association »),
des efforts en vue de rassurer Washington et Wall Street, et le mythe de
l’indépendance « rentable », n’impliquant aucun risque, aucun
sacrifice pour les classes moyennes américanisées. Pour Vallières, il n’y a pas
d’indépendance possible sans une révolution populaire, laquelle doit être
animée par un projet écologiste et socialiste. À la détermination des adversaires
- milieux d’affaire, État canadien, gouvernement américain - à faire échouer
tout projet d’autodétermination, doit répondre une détermination encore plus
grande du côté du peuple québécois à conquérir une véritable indépendance.
Ce
qui est frappant à la relecture de ce texte que j’avais découvert une dizaine
d’années après sa parution, est son actualité parfois presque prophétique. Il
prévoyait, notamment, deux ans avant le congrès qui allait en décider, que le
PQ allait abandonner son engagement à retirer un Québec indépendant de l’OTAN
et de NORAD. Bien entendu, certains éléments d’analyse ou de vocabulaire sont
nettement datés (la notion du Canada colonie des États-Unis, par exemple,
emprunté au nationalisme canadien de gauche très populaire à l’époque). Mais au
total, on ne peut qu’être frappé par la lucidité parfois brutale de l’analyse.
En voici quelques extraits :
« Le premier gouvernement indépendantiste de l’histoire
du Québec prit aussitôt les apparences d’un conseil d’administration de
compagnie. […] Au mouvement de libération qui, depuis 1960, agitait les
esprits, on opposa « la nécessité de la concertation ». […] Tout
cela, pour rassurer les adversaires […] au risque de démobiliser dramatiquement
ses alliés. » p. 14
« On voyage ainsi, depuis près de 150 ans, de la peur
de l’assimilation à la peur de la liberté. » p. 25
« Mais qu’en est-il de la majorité des séparatistes
québécois ? Sont-ils des colonisés trop bien nourris pour avoir le courage
d’imaginer et de vouloir autre chose qu’une souveraineté délayée dans un marché
commun de la croissance indéfinie, dût-elle n’être plus qu’une folle croissance
de la camelote et des détritus ? » p. 32
« Il ne sert à rien de rechercher l’indépendance si
l’on refuse à priori de raisonner et d’agir en dehors et contre les limites,
les inégalités et les injustices de la société nord-américaine ; en dehors et contre
les ambitions meurtrières du capitalisme, de l’impérialisme et du
militarisme. » p. 33
« Au lieu de vouloir à tout prix remplacer les libéraux
aux commandes d’un État fantoche et lourdement hypothéqué, le Parti québécois
aurait dû plutôt privilégier la politisation des masses. Il a préféré
l’électoralisme à court terme et la démagogie trompeuse. » p. 45
« D’après l’opinion que Lévesque s’est formée de la
population québécoise, il semble bien que, dans son esprit, le peuple n’est pas
« politisable », mais seulement perméable au « marketing »,
à la mise en boîte des politiques, quelles qu’elles soient. » p. 52
« Mais le marketing péquiste rejette comme inexistante
la réalité de la lutte des classes au Québec et déradicalise l’option indépendantiste
dans l’ambiguïté du « souverainisme associé ». p. 76
« Privé d’une alternative progressiste au Parti
québécois, le Québec s’apprête à choisir entre l’indépendance si nécessaire
mais par nécessairement l’indépendance et le fédéralisme si nécessaire mais par
nécessairement le fédéralisme tel qu’il a été vécu jusqu’à maintenant. En
somme, le Québec s’apprête à choisir entre deux formes d’ambigüité. » p.
80
« L’histoire récente de l’Hydro-Québec démontre qu’un
nationalisme privé de volonté socialiste de libération ne conduit nulle part,
si ce n’est à un renforcement de la dépendance. » p. 96
« Jamais l’indépendance du Québec ne se réalisera si
elle ne procède pas d’une action socialiste, anti-impérialiste,
autogestionnaire et écologique. » p. 97
« Face aux contradictions qui caractérisent les
démarches syndicales, les travailleurs québécois affichent un désabusement qui
n’a d’égal que leur mépris pour les politiciens de profession. Ils subissent le
syndicalisme d’affaire avec le même fatalisme qu’ils endurent l’État
technocratique. » p.109
« Il existe une différence fondamentale entre gagner
plus et vivre autrement. Les syndicats ne l’ont encore ni comprise ni
exprimée. » p. 111
« Les questions qui intéressent les jeunes sont celles
que posent les écologistes et que refusent d’entendre les mandarins de la
gestion technocratique. » p. 115
« Tout en usant de la rhétorique engendrée par le
mouvement écologiste, « la classe politique » refuse obstinément de
reconnaître qu’il n’y a aucun moyen de sortir de la crise contemporaine si l’on
ne change d’abord le type de développement. » p. 117
« Devons-nous attendre l’échec du PQ pour bâtir autre
chose ? […] Sans les écologistes, les jeunes, les femmes, les marginaux,
il n’y a pas moyen de donner une assise politique à un nouveau projet, à une
alternative réelle. » p 121
« Il n’y a pas moyen de changer la vie sans casser
l’ensemble du système. Il n’y a pas moyen de casser l’ensemble du système en
prenant pour acquis, comme le fait le PQ, qu’il est sacré ou encore qu’il est,
par nature, irréversible. » p. 123
« Il est à prévoir que la question formulée par le
gouvernement Lévesque [pour le référendum] mettra surtout l’accent sur
« l’association », qu’elle visera à faire entrevoir la souveraineté à
travers l’union des deux « peuples fondateurs » et que, finalement,
elle confondra l’indépendance avec l’interdépendance. » p. 153
Commentaires
Enregistrer un commentaire