Le dépôt d’amendements au projet de loi 62 sur
la neutralité de l’État constitue une occasion pour Québec solidaire de mettre
de l’avant des idées importantes dans le débat sur l’identité, la laïcité et le
pluralisme. Le passage du témoin entre Françoise David et Gabriel Nadeau-Dubois
comme porteur du dossier à l’Assemblée nationale permet aussi d’ajuster le
positionnement du parti dans un sens plus clairement égalitaire. Mais pour ce
faire, l’équipe parlementaire devra faire preuve d’audace et de pédagogie et
éviter les formules toutes faites.
Rappelons que le PL62 constitue la conclusion,
pour le gouvernement libéral, des dix ans de débat qui ont agité la société
québécoise depuis que Mario Dumont et certains médias ont lancé la fausse crise
des accommodements raisonnables[1].
Il affirme la neutralité de l’État québécois sur le plan religieux (évitant le
terme de laïcité considéré comme trop sujet à interprétation), établit un cadre
pour le traitement des demandes d’accommodement à caractère religieux et
interdit les vêtements couvrant le visage dans les services publics, tant pour
les personnes qui y travaillent que pour celles qui les reçoivent. Il s’agit d’une
nouvelle mouture d’un projet presque identique qui avait été déposé par le gouvernement
Charest en 2011, à la suite d’une première controverse médiatisée impliquant
une seule femme portant un niqab.
Le projet a déjà fait l’objet d’un premier
débat en commission parlementaire l’an dernier et les amendements présentés par
la ministre visent à tenir compte de cette première ronde de discussion avant
de passer à l’étude article par article, qui vient de débuter. À part quelques
changements visant des clarifications, le seul amendement de substance consiste
à indiquer que la loi s’appliquerait également aux municipalités. Cet ajout
signifie qu’indirectement elle s’appliquerait aux services de transport en
commun, ce qui sous-entend que les femmes qui portent un niqab, par exemple, ne
pourraient pas prendre l’autobus à Montréal. C’est sur cette situation
potentielle qu’ont porté la plupart des questions lors du récent point de
presse de la Ministre.
Ajoutons que le débat sur ce projet de loi s’est
invité dans la course à la direction du NPD. Les quatre personnes en lice pour
succéder à Thomas Mulcair se sont prononcées contre le projet libéral, considéré
comme une atteinte injustifiée aux libertés individuelles. Ce qui divise les
aspirants à la direction est la question du droit de l’Assemblée nationale du
Québec à légiférer sur cette question. Étant donné l’importance que la base
militante du NPD accorde au débat sur le niqab dans le bilan de la défaite de
2015, il ne s’agit pas d’une question secondaire.
Des distinctions nécessaires
Le cas de l’autobus fait clairement ressortir
le caractère discriminatoire d’une interdiction généralisée des « visages
couverts » dans les services publics. Au nom de quoi une société peut-elle
interdire aux quelques femmes qui portent ces vêtements de se faire soigner à l’hôpital
ou de se déplacer dans les transports collectifs ? Contrairement à ce qu’a
déjà affirmé Jean-François Lisée, les burkas ne sont pas des moyens de cacher
des mitrailleuses. Pour ce faire, une caisse de guitare serait probablement
beaucoup plus efficace ! Sous-entendre que ces vêtements constituent des
risques pour la sécurité publique est une expression évidente d’islamophobie.
Dans une intervention en commission parlementaire,
le nouveau député de Gouin a mentionné les exemples des musées et des
traversiers. Il a également affirmé un principe important pour un parti féministe :
« On veut s'assurer qu'il n'y ait aucune décision politique qui marginalise
davantage des femmes qui sont déjà marginalisées au sein de la société
québécoise. [2]»
Pour respecter ce principe, l’aile parlementaire de QS devra aller plus loin
que la position défendue jusqu’à maintenant, soit une exception au principe du « visage
découvert » pour les cas « humanitaires ou d’urgence sanitaire ».
Une femme qui veut visiter un musée, prendre l’autobus ou consulter une
travailleuse sociale dans un CLSC n’est pas dans une situation « humanitaire
ou d’urgence sanitaire ». Mais selon le projet de loi tel que formulé
présentement même avec les amendements de QS, il faudrait qu’elle passe par la
démarche potentiellement longue et complexe d’une demande d’accommodement pour
accéder à ces services.
Cessons de tourner autour du pot et
reconnaissons que l’adoption d’une loi indiquant que ces quelques dizaines de
femmes ne sont pas les bienvenues dans l’ensemble des services publics n’est qu’une
manière hypocrite de les intimer de quitter le Québec. Est-ce que notre société
serait si fragile qu’elle ne peut pas tolérer la présence de ces femmes déjà
marginalisées par leur apparence et leurs croyances ? Celles que l’on
considère généralement comme les plus opprimées des femmes détiendraient-elles
un pouvoir secret leur permettant de détruire nos institutions ?
On voit bien qu’il s’agit en fait d’une chasse
aux sorcières, contraire aux principes féministes qui ont d’ailleurs été
clairement présentés par GND en commission parlementaire : « Pour
nous, il n'y a aucune loi, il n'y a aucune politique publique qui va pouvoir
libérer les femmes de force, il n'y a aucun code vestimentaire, qu'il soit
religieux, laïc, républicain, public, qui va pouvoir émanciper les femmes de la
soumission religieuse ou culturelle. Une des revendications historiques du
mouvement des femmes, c'est leur droit à l'autodétermination[3].
» Au minimum, si on s’entend pour défendre de tels principes, l’aile
parlementaire de Québec solidaire devrait déposer des amendements introduisant
une distinction entre la prestation et la réception des services.
Nos adversaires (surtout au PQ et à la CAQ)
nous accuserons alors certainement d’être « pour le niqab », ce qui
nous donnera l’occasion de faire ressortir la différence entre permettre
quelque chose (légalement) et l’approuver (moralement). Le débat à savoir si porter
un vêtement couvrant le visage est une bonne ou une mauvaise action devrait
relever de la société civile et non de l’État. Il s’agit de convaincre et non
de contraindre. Il y a toutes sortes d’actions qu’on peut réprouver moralement
et qui ne devraient pas faire l’objet d’une législation. On pourra donner l’exemple
des talons aiguille, qui sont éminemment sexistes et en plus dangereux pour la
santé. Nous venons d’adopter en congrès la décriminalisation de la consommation
de toutes les drogues. Ceci ne signifie pas que QS soit « pour l’héroïne ».
En fait, cette distinction entre la morale et
le droit est un aspect essentiel de la laïcité. Celle-ci figure également dans
les premières interventions du député de Gouin dans ce débat : « C'est
tout à fait possible […] de dire : J'ai un malaise, j'ai une réticence à
l'égard d'un vêtement ou d'une pratique. […] Ça ne veut pas dire pour autant
qu'il faut en réclamer l'interdiction par la loi. » Si tout ce que la majorité
de la population réprouve était interdit par la loi, nous ferions face à une
véritable religion d’État, à un conformisme étouffant, qui est le contraire de
la laïcité. Une des principales raisons qui militent en faveur de la laïcité
est justement de forcer l’État à limiter ses interventions à ce qui concerne le
bien commun et l’intérêt général, en laissant aux individus le choix de faire
ce qui leur plait en autant que les droits des autres ne soient pas menacés.
Un positionnement politique souhaitable
À un an de la prochaine élection générale, ce débat
pourrait aussi faire ressortir comment QS se distingue des trois autres partis
à l’Assemblée nationale sur ces enjeux cruciaux. Nous pouvons à la fois
démontrer que nous sommes plus clairs et cohérents que le PQ ou la CAQ dans la
défense de la laïcité et plus fiables que le PLQ dans la défense des droits. Défendre
le droit des femmes voilées à bénéficier des services publics suffirait à faire
la seconde démonstration.
Pour la première, notre nouveau porteur de
ballon dans la joute parlementaire est bien parti avec la présentation d’un
amendement visant à abolir les subventions aux écoles privées confessionnelles.
Le fait que plus de 100 millions $ de fonds publics soient versés à ces écoles
annuellement constitue sans doute l’entorse la plus flagrante au principe de
laïcité (ou de neutralité religieuse de l’État) dans le Québec d’aujourd’hui. À
l’argument de la Ministre à l’effet que l’abolition de ces subventions serait
une forme de discrimination favorisant les écoles privées non-confessionnelles,
nous pourrons répondre tout simplement que tout le financement public des
écoles privées devrait être aboli.
Aussi, il était opportun de remettre sur le
tapis la question du crucifix qui a été placé au-dessus du siège de la
présidence de l’Assemblée nationale par le premier gouvernement Duplessis. Comme
GND l’a bien expliqué, il ne s’agit pas de mettre cet objet aux poubelles mais
de le déplacer à un endroit approprié où on pourra rappeler son histoire. Parions
que sur ces deux questions, le PQ et la CAQ vont avoir l’occasion de démontrer
que leur version de la laïcité n’implique des efforts et des contraintes que
pour les minorités religieuses, en particulier leur accès aux emplois des secteurs
public et parapublic. Pas question de toucher aux institutions catholiques et à
leurs symboles.
La reprise de ce débat donne aussi l’occasion à
l’aile parlementaire de QS de cesser de défendre une position qui n’a jamais
été endossée par un congrès ou un conseil national, soit l’interdiction de tout
« signe religieux » pour une série de professions exerçant une « autorité
coercitive ». Cette recommandation du rapport Bouchard-Taylor n’avait pas
même été incluse dans le débat mené à QS en 2009 sur la question. C’est à l’automne
2013, en plein débat sur le projet de Charte des valeurs, que Françoise David a
déposé un projet de loi qui se voulait un compromis historique, incluant cette
liste de prohibitions.
Comme nous l’avons expliqué plus en détail dans
un texte précédent[4],
cette option est trop restrictive pour les Libéraux et ne serait qu’une étape
vers plus d’interdictions pour le PQ ou la CAQ. Il n’y a que les députés de QS
qui l’ont défendue. Qu’on revienne donc plutôt à notre programme, soit l’établissement
de critère généraux pour la gestion des restrictions vestimentaires, sans établir
une liste de vêtements prohibés ou une liste de métiers et de professions pour
lesquelles tout « signe » serait interdit. L’argument présenté par
GND sur cette question est que les postes en question (policiers, gardiens de
prison…) disposent déjà d’un uniforme. C’est un argument pour le moins faible
quand on considère que les agents de la GRC ont le droit de porter un turban
(rouge pour aller avec l’uniforme) depuis plus de 20 ans sans que ça ait
soulevé le moindre problème.
En somme, le débat sur le projet de loi 62 nous
permet de revendiquer une laïcité qui renoue avec ses racines démocratiques et
égalitaires. La version de la laïcité dont s’inspirent la CAQ et le PQ provient
du modèle développé récemment en France et qui a retourné cette idée généreuse
et progressiste contre les minorités religieuses et culturelles alors qu’elle
devrait au contraire garantir leur égale citoyenneté en interdisant à l’État de
privilégier les croyances de la majorité.
En réalité, l'abolition du financement des écoles privées confessionnelles est une discrimination favorisant les écoles publiques qui sont exclusivement laïques et on prétend être neutre en proposant cela. Il n'y a rien de neutre avec la laïcité. La laïcité est une prise de position contre la place des religions dans le système d'éducation public. QS ne va nulle part avec cette proposition et m'incite presque à voter pour le PLQ. Ensuite, n'oubliez pas que les différentes communautés confessionnelles payent de l'impôt et finance un système public qui les exclut et les repousse vers le système privé. L'abolition de ce financement sera perçue comme un message qu'ils ne sont pas bienvenue au Québec.
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