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Le chemin parcouru



Il y a 30 ans, quelque part en 1989, alors étudiant en histoire à l’Université de Montréal, j’ai été interrogé par un militant sur mon orientation politique. Ma réponse a été que j’étais socialiste et indépendantiste. Il m’a répondu que ces deux idées étaient contradictoires. Mais je me souvenais d’avoir acheté des journaux dans des manifestations qui avaient justement comme slogan « pour le socialisme, le féminisme et l’indépendance ». J’ai donc décidé d’appeler au numéro qui figurait sur les journaux en question. Je suis rapidement devenu membre du groupe Gauche socialiste (GS). Je n’ai jamais aimé me faire dire ce qui était impossible et je n’ai jamais toléré les donneurs de leçon…

La perspective politique du groupe à l’époque était de favoriser le rassemblement de la gauche indépendantiste et féministe en même temps que l’autonomie politique de la classe ouvrière. Ces deux objectifs étant les deux faces indissociables de la même médaille. Sans une gauche unie, le mouvement ouvrier n’arriverait jamais à se défaire de l’orbite des partis du capital, dont le Parti québécois. Sans un mouvement ouvrier autonome dans son action politique, l’indépendance du Québec était impensable, la classe capitaliste pesant toujours de son énorme poids en faveur du statu quo. Sans un programme indépendantiste, le développement d’un parti de gauche de masse au Québec était également impensable. Quant au féminisme, il était devenu incontournable grâce aux luttes des femmes québécoises et devait donc aussi faire partie de l’équation. Nous ne pouvions pas nous douter jusqu’à quel point le mouvement féministe jouerait un rôle central dans la réalisation de cette ambitieuse stratégie.

La gauche était complètement fractionnée à l’époque, avec une douzaine de petits groupes autonomes et une masse inorganisée de militantes et de militants, tandis que le mouvement syndical adoptait l’orientation de la « concertation conflictuelle », dont une des dimensions était une complicité évidente mais non avouée avec le Parti québécois.

Durant la première grande crise existentielle au PQ, au début des années 1980, différents groupes et partis s’étaient formés, notamment sur la base d’une volonté de poursuivre la lutte pour l’indépendance, à l’époque où le PQ était en mode « beau risque » ou « affirmation nationale ». Un de ces nouveaux groupes était le Mouvement socialiste, un petit parti de gauche qui avait mal commencé, en refusant à ses membres le droit de constituer des tendances politiques organisées en son sein. C’est de cet échec d’un premier effort de rassemblement qu’était issu GS. Mais la volonté de rassembler, dans une structure pluraliste et ouverte, était restée bien vivante.

Suite à une dispute dont les tenants et aboutissants paraissent bien étranges aujourd’hui, j’ai quitté le groupe à l’automne 1992, alors que je consacrais plus de temps au militantisme étudiant à l’UQAM qu’à mes études. Mais sur le fond, j’étais toujours d’accord avec la perspective stratégique du groupe et je restais en contact avec certains membres.

Quelques années plus tard, GS s’est rallié au NPD-Québec, qui avait pris position pour l’indépendance suite aux échecs des accords de Meech et de Charlottetown. Le changement de nom en Parti de la démocratie socialiste (PDS) marquait la séparation claire d’avec le parti fédéral. À l’élection québécoise suivante, en 1998, j’étais un des 600 membres du parti qui allait réussir à inscrire plus de 90 candidatures, mais obtenir seulement 24 000 votes.

On connaît la suite. Le PDS, le Rassemblement pour une alternative progressiste (RAP), le Parti communiste du Québec et quelques centaines de membres individuels ont fondé l’Union des forces progressiste en 2002 (alors que je vivais à Halifax). Puis l’UFP a fusionné avec Option citoyenne en 2006 pour fonder Québec solidaire. Un premier député en décembre 2008. Dix le premier octobre 2018. Et maintenant, Québec solidaire est troisième tant dans les intentions de votes que pour le nombre de députés, devant le Parti québécois. Avec 20 000 membres, il se permet maintenant de mobiliser sur ses propres bases et de mettre au défi le gouvernement.

… et celui qui reste

La réussite au moins partielle de la grande stratégie esquissée dans les années 1980 est donc indéniable. Mais est-ce que les classes subalternes dans la société québécoise sont vraiment indépendantes dans leur action politique? Ce ne sera pas le cas tant que la majorité de ces personnes continuera de voter pour des partis du patronat ou de s’abstenir par dépit. Il faudra aussi que le mouvement syndical renoue avec la combativité et refuse de se laisser mettre en cage par des lois spéciales.

Est-ce que la gauche est vraiment unie? Nous avons encore du chemin à faire pour rassembler la majorité de la population au-delà des clivages identitaires et sur la base d’un projet de démocratie renouvelée, de transition écologique et de justice sociale. Les grands principes sur lesquels nous avons construit Québec solidaire sont la fondation d’une telle politique, mais elle a encore du chemin à faire pour rallier la population.

Est-ce que la lutte pour l’indépendance est redevenue indissociable de celle pour la justice sociale? Bien des gens de gauche en doutent, sur la base de l’expérience concrète du PQ qui a longtemps prétendu incarner à la fois la social-démocratie et l’indépendantisme. Il reste un énorme travail de dialogue avec les personnes sceptiques et réticentes afin de redéfinir ensemble le projet de pays.

Surtout, on ne pourra crier victoire que lorsque notre parti formera le gouvernement et qu’il pourra, en symbiose avec une population mobilisée et vigilante, commencer à réaliser son programme. Ces décennies d’effort, de mobilisations, de patient travail, de débats et de combats n’ont pas été motivées par le simple désir d’avoir raison, de se battre pour l’honneur ou de se donner bonne conscience. Au bout du compte, il faut gagner, c’est un impératif moral. Les contradictions et la dynamique infernale du capitalisme nous mènent vers l’effondrement des bases de la civilisation. Cent ans après l’assassinat de Rosa Luxembourg, nous sommes à nouveau face à l’alternative qu’elle avait brillamment résumée : socialisme ou barbarie.


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