S’il y a un débat sur lequel toutes les
personnes qui aspirent à la présidence des États-Unis ou à tout poste électif
dans son gouvernement fédéral doivent absolument prendre position, c’est bien
celle du système de santé. Pas étonnant, dans un pays où on dépense deux fois
plus pour les soins de santé, en moyenne, que dans tout autre pays
industrialisé. Malgré cela, les États-Unis ont de mauvais résultats en
comparaison avec le reste du monde industrialisé en termes de mortalité
infantile, d’espérance de vie et de qualité de vie.
Environ 27 millions de personne, ou près de 10%
de la population, ne dispose d’aucune assurance-maladie. 87 millions d’autres
disposent de plans inadéquats qui ne couvrent pas leurs besoins essentiels ou
sont trop dispendieux. Un des résultats de cette situation est qu’au moins un
demi-million d’américains déclarent une faillite personnelle chaque année soit
parce qu’ils sont incapables d’assumer le coût de leurs soins de santé ou parce
qu’ils ne disposent pas d’une assurance invalidité en cas de maladie prolongée.
La famille américaine de classe moyenne dépense plus de 12 000$ par année
en primes d’assurance et autres coûts liés à la santé.
Les compagnies d’assurance et l’industrie
pharmaceutique engrangent plus de 100 milliards de dollars en profits chaque
année et invertissent une bonne partie de cette somme en lobbyistes installés
en permanence à Washington et dans les capitales des États, ainsi qu’en financement
électoral pour les candidates et candidats disposés à défendre leurs intérêts.
Obamacare
Ce portrait peu reluisant serait encore pire
sans la réforme introduite par Obama au début de son administration. C’est
cette réforme (the Affordable Care Act, 2010) qui a défini en bonne partie la
présidence de Barak Obama (ce que ses adversaires ont d’ailleurs appelé
Obamacare). C’est aussi contre cette réforme que se sont mobilisés les
Républicains, votant pour son abrogation des dizaines de fois à la Chambre des
représentants. Quant à l’administration Trump, elle a fait tout ce qui était en
son pouvoir pour laisser pourrir les défauts du nouveau système en espérant
ainsi créer une dynamique favorable à son renversement. Mais la victoire des
Démocrates aux élections législatives de 2018, due en grande partie à une
mobilisation populaire en défense de la réforme, indique que ces efforts ont
été vains.
Il se trouve que la réforme Obama, en
réglementant l’industrie des assurances et en élargissant l’accès au programme
public (Medicare) pour certains groupes, avait permis de réduire environ de
moitié le nombre de personnes sans couverture d’assurance, et de réduire les
coûts pour un bon nombre d’individus. Mais la réforme ne remettait pas en
question la structure d’ensemble d’un système essentiellement privé et à but
lucratif, tel que mis en place sous la présidence de Richard Nixon.
Positionnements parmi les démocrates
Chaque candidate ou candidat pour la nomination
du parti démocrate a dû clarifier sa position sur le sujet au cours de la
présente campagne. Pour Bernie Sanders, le vieux militant socialiste du
Vermont, la réforme Obama était nettement insuffisante. Il met de l’avant sans
ménagement le projet d’un système inspiré de ceux du Canada ou du Royaume-Uni,
où l’État constitue le client unique des médecins, des hôpitaux et des compagnies
pharmaceutiques, ce qui permet d’instaurer des services universels et gratuits
tout en contrôlant les coûts. En fait, ce qu’il avance est plus égalitaire que
le système canadien, en incluant dans l’assurance-santé publique les soins
dentaires et les médicaments, les soins en santé mentale et les thérapies
contre la dépendance aux drogues notamment.
Le slogan « Medicare for All » résume
cette perspective. En effet, le programme Medicare, qui couvre les soins de
santé des personnes retraitées ou bénéficiaires de l’aide sociale, est déjà
établi sur ce modèle. L’idée est de le généraliser à l’ensemble de la
population, éliminant ainsi l’essentiel du système des assurances-santé privées
(sauf pour certains services complémentaires non-couverts). Une des principales
attaques contre Sanders est que sa proposition serait trop radicale, trop
coûteuse, et entrainerait des perturbations économiques majeurs (pertes
d’emplois et faillites d’entreprises, par exemple). Mais considérant ce que la
population paie déjà en primes d’assurance, en médicaments et divers autres
coûts, Sanders avance que sa réforme représenterait une baisse du coût pour la
majorité.
Pete Buttigieg, ancien maire de
South Bend, Indiana, avance le slogan « Medicare for all who want
it. » Ainsi, il reprend habilement
le slogan de la gauche du parti, tout en ménageant ceux et celles qui craignent
une baisse de la qualité de leur couverture santé avec le nouveau système et
désirent avoir le choix d’une assurance privée. Il s’agit en fait d’ajouter à
la réforme Obama une option publique, soit une assurance offerte par l’État qui
serait en compétition avec les régimes privés. C’est une idée que
l’administration Obama avait considéré dans les préparatifs de sa réforme mais
avait décidé de mettre de côté par pragmatisme parlementaire.
C’est aussi l’option préconisée par Joe Biden,
un des artisans de la réforme de 2010. Son approche consiste à renforcer et
améliorer Obamacare, plutôt que de réformer le système de fond en comble. Mike
Bloomberg, le miliardaire et ancien maire de New York est sur la même longueur
d’onde que Bien et Buttigieg en ce qui concerne la santé : réduire les
coûts des médicaments, créer l’option publique et renforcer la réforme Obama.
Cette convergence entre les « trois B » constitue un bon exemple de
la division du vote de l’aile dite modérée dans la lutte pour l’investiture. Si
ces trois candidats continuent longtemps à se faire concurrence, la route de la
victoire sera plus facile pour Sanders.
C’est aussi l’orientation défendue par Amy
Klobushar, sénatrice du Wisconsin. Sa troisième place au New Hampshire avait
semblé donné un élan à une campagne restée relativement marginale, mais son
résultat décevant au Nevada (6e place) semble annoncer une campagne
qui ne survivra probablement pas bien au-delà du Super Tuesday (3 mars, avec
les votes de 14 États dont la Californie et le Texas).
Élizabeth Warren défend aussi l’idée de
Medicare for All, mais avec une approche plus graduelle quant à sa mise en
place. Elle propose d’introduire l’option publique, comme Biden et Buttigieg,
mais en la présentant explicitement comme une transition vers un modèle
semblable à celui de Sanders. Elle reproche indirectement à Sanders de s’en
tenir au niveau des slogans et des aspirations, tandis qu’elle se soucie des
obstacles pratiques et politiques sur le chemin de la réforme. Notamment, pour
qu’une telle transformation se produise, il faudra obtenir l’assentiment d’une majorité
tant à la Chambre des représentants qu’au Sénat. Ce qui ne sera pas donné
d’avance, même avec une victoire écrasante des Démocrates en novembre à tous
les niveaux.
Dans le prochain billet, nous examinerons plus
en détails les résultats des quatre premiers scrutins (Iowa, New Hampshire,
Nevada et Caroline du Sud) et nous anticiperons les prochaines étapes de la
course à l’investiture démocrate.
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