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La question du Québec est-elle réglée?


À l’occasion de la Fête nationale du Québec et du 153e anniversaire de la Confédération, 40 ans après le premier référendum sur la souveraineté, il convient de se demander si la question du Québec pourrait en fait être réglée. La population n’a-t-elle pas rejeté par deux fois (en 1980 et 1995) le projet qui lui avait été présenté par le Parti québécois au pouvoir? L’État canadien n’a-t-il pas reconnu dans les faits le droit du peuple québécois à l’autodétermination en tolérant la tenue de ces référendums et en y participant? Une situation bien différente de celle qui est présentement vécue en Catalogne, par exemple.

L’unité canadienne par tous les moyens

Dans les années 1960, dès que le mouvement indépendantiste moderne a commencé à devenir un phénomène politique significatif au Québec, l’État canadien a mobilisé toutes ses ressources pour l’écraser, y compris la police et l’armée. Les indépendantistes (dont beaucoup étaient aussi socialistes) ont été infiltrés, fichés, surveillés, etc. Une « liste noire » de militantes et de militants a été constituée patiemment, ce qui devait mener à des milliers de perquisitions et des centaines d’arrestations arbitraires à l’occasion de la Loi des mesures de guerre en 1970. À cette occasion, les rues des grandes villes du Québec ont été occupées par l’armée canadienne et les rassemblements de plus de 3 personnes ont été interdits. Les tactiques de la GRC ont dégénéré jusqu’à la constitution de cellules fictives du FLQ qui ont commis des actes criminels en vue de discréditer le mouvement indépendantiste, ce qui devait conduire à une commission royale d’enquête puis à la fondation du SCRS dans le but de séparer le domaine du renseignement et celui de la police.

Lors du référendum de 1980, les leaders de facto du camp du Non étaient les mêmes chefs politiques que ceux du gouvernement fédéral de 1970 qui avait présidé à toute cette répression. À peine dix ans plus tard, on savait jusqu’où il était disposé à aller pour préserver l’intégrité territorial de l’État canadien. Ceci sans compter toute la désinformation, la malhonnêteté intellectuelle et le chantage émotif de leur campagne (voir ou revoir Le Confort et l’indifférence de Denys Arcand pour les détails…).

Entre les deux référendums, les accords du Lac Meech et de Charlottetown - des efforts explicites de réconciliation visant à convaincre le Québec de ratifier la constitution canadienne rapatriée et modifiée en 1982 sans son consentement - ont ultimement échoué en raison du rejet par le ROC de l’euphémisme de la « société distincte » pour désigner la nation québécoise. La crainte étant que toute forme de reconnaissance d’un statut particulier pour le Québec minerait le principe de l’égalité juridique entre les provinces et la capacité de l’État fédéral à intervenir comme bon lui semble en vue d’assurer la cohésion de son projet national.

Lorsque cette série de défaites du camp fédéraliste autonomiste a conduit à une montée sans précédent (et jamais revue depuis) des appuis à l’indépendance, puis au second référendum, la stratégie de l’État canadien a été ajustée en fonction d’un nouveau rapport de force. C’est le « soft power » de l’argent et des médias qui a été mobilisé en 1995, dans une opération de propagande qui faisait fi de la loi québécoise sur les consultations populaires. Ces dépenses faramineuses étaient en partie canalisées dans divers budgets de publicité dont la gestion douteuse mena au scandale des commandites quelques années plus tard.

Un autre élément de la nouvelle stratégie a consisté à brandir la menace de la partition du Québec, évoquant les cas d’Israël, de la Yougoslavie ou de l’Irlande du Nord. En plus d’encourager l’expression d’une volonté de maintenir leur territoire ancestral dans le Canada chez les Cris et les Inuits (des positionnements politiques légitimes que la gauche indépendantiste doit respecter sans réserve), tout un mouvement s’est organisé pour annoncer l’éventuelle partition de l’île de Montréal au nom du « droit à l’autodétermination » des anglophones et des fédéralistes. C’était l’aboutissement d’une radicalisation progressive de ces élites anglo-montréalaises que René Lévesque avait baptisées les « Rhodésiens de Westmount ».

Le quasi-échec de cette stratégie moins brutale et plus complexe devait ensuite mener à l’adoption de la « Loi sur la clarté référendaire » en 2000. Cette loi affirme que l’État fédéral n’a pas à reconnaître les résultats d’un référendum à moins d’être satisfait de la clarté de la question et de la majorité obtenue. Comme la notion de « majorité claire » elle-même n’est pas définie, il n’y a pas de clarté du tout mais plutôt l’affirmation d’un pouvoir arbitraire et unilatéral de l’État fédéral.

Depuis lors, les gouvernements du Canada et des autres provinces ont refusé catégoriquement toute reprise des discussions constitutionnelles. La Chambre des communes a reconnu symboliquement l’existence d’une nation québécoise, mais il n’est pas question que cette reconnaissance se retrouve dans la constitution ou puisse avoir des conséquences pratiques quelconques. La forme principale du néocolonialisme canadien envers le Québec est désormais l’indifférence. Le camp fédéraliste s’est résigné au statu quo sous le leadership de Charest et de Couillard. Legault parle de nationalisme en donnant à l’idée un contenu ethnique et des critères économiques, mais ne remet pas en cause l’ordre constitutionnel. C’est un nationalisme au service du Québec inc et dirigé contre les minorités. Le PQ lui-même a laissé tomber l’idée d’un troisième référendum parce qu’il n’arrive pas à développer une stratégie crédible pour contrer l’arsenal qui a été déployé depuis 1995 par l’État canadien.

Une nouvelle voie

Québec solidaire présente une toute autre vision de la lutte pour l’indépendance. Face au statu quo constitutionnel imposé d’en haut en 1982, il met de l’avant le projet de l’assemblée constituante, un véritable processus d’autodétermination démocratique et participatif. Face à la bonne vieille stratégie colonialiste du « diviser pour régner », il met de l’avant la solidarité avec les Premières nations et propose une démarche de co-construction d’un nouvel État plurinational. Face ou pouvoir du capital, il propose la mobilisation autonome de la population en vue d’une transition permettant de sortir du capitalisme pétrolier et financiarisé.

Pour sortir du conservatisme institutionnel qui a paralysé le mouvement indépendantiste sous l’hégémonie du PQ, QS met de l’avant le droit à la rupture, la possibilité pour l’État québécois d’ignorer cette constitution à laquelle la population du Québec n’a jamais consenti, directement ou indirectement. La seule fois qu’elle lui a été soumise pour ratification, c’était au référendum sur l’accord de Charlottetown en 1992, donc dans une version modifiée en vue d’obtenir l’accord du Québec et des Premières nations. Le vote a été un Non à 56,7%. La vraie constitution canadienne, celle de 1982, aurait obtenu un bien pire résultat.

Bref, il ne faut pas confondre la démoralisation résultant d’une accumulation de défaites face à l’oppresseur avec la disparition de l’oppression. Le fait que l’hégémonie de l’État canadien sur la société québécoise soit relativement solide depuis une vingtaine d’années ne signifie pas que la question du Québec soit réglée.

Ceci étant dit, l’oppression nationale du Québec par l’État canadien ne s’accompagne plus d’une surexploitation économique de la classe ouvrière québécoise en comparaison avec celle du reste du Canada. Aussi, les francophones occupent maintenant une place significative dans les hautes sphères de la classe capitaliste. Certaines entreprises basées au Québec et dirigées par des francophones jouent un rôle peu reluisant dans l’exploitation des pays du Sud global. Le potentiel pour une sorte d’impérialisme junior québécois est bien réel d’un point de vue strictement socio-économique.

Ce potentiel ne se réalisera pas parce que cette couche capitaliste québécoise francophone est très bien intégrée à la classe dominante canadienne et craint comme la peste le retour en force des traditions radicales du mouvement ouvrier québécois. Elle est foncièrement conservatrice et fidèle au PLQ de manière générale, avec la CAQ comme alternative plus nationaliste. Le cas Péladeau est une exception qui confirme la règle. Et dans son cas, il s’agissait de faire du PQ la grande coalition nationaliste qui s’est finalement réalisée dans la CAQ. L’empire Quebecor constitue comme jamais la voix du gouvernement en place. Et le PQ, incapable de rallier une partie des classes dominantes ou d’inspirer les classes subalternes, se retrouve de plus en plus dans une zone d’insignifiance sociologique qui le condamne à un déclin inexorable.

Ce n’est que par la gauche, à travers un projet écosocialiste, féministe, anticolonial et inclusif, que les aspirations nationales du Québec peuvent trouver une nouvelle voie. Les gens de gauche ne devraient pas faire preuve de complaisance, d’indifférence ou de mépris face à un peule résigné, notre projet ne sera réalisable que par la mobilisation d’un peuple libre.

 


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