Un grand nombre de personnes et
de groupes vivent une appréhension compréhensible en voyant arriver l’élection
fédérale de 2015 et la possibilité d’un autre mandat pour le parti
obscurantiste, écocidaire et belliciste de Harper. Ce sentiment était palpable
durant le récent Forum social des peuples, à l’Université d’Ottawa. Certains
iront probablement jusqu’à prôner un vote stratégique « n’importe qui sauf
les conservateurs », partageant leurs appuis entre les Libéraux et le NPD,
comme ce fut le cas pour plusieurs syndicalistes lors de la dernière élection
ontarienne. Cette élection devait mener
à un gouvernement libéral majoritaire qui prépare des politiques d’austérité
majeures après avoir séduit une partie de la gauche avec un budget préélectoral
relativement progressiste. Un avant-goût?
Dans le premier d’une série d’article,
nous allons tenter d’analyser les principaux aspects de ce paysage politique
canadien en mouvement dans une perspective indépendantiste et écosocialiste.
Pour commencer, dressons un portrait rapide de la situation à partir de ce qu’indiquent
les sondages d’opinion.
2015 ne sera pas comme 2011
Une des erreurs stratégiques
typiques des partis politiques consiste à tenter de remporter l’élection
précédente. C’était notamment le cas du Bloc québécois en 2011, quand Duceppe
et son équipe faisaient campagne en promettant de bloquer les conservateurs,
alors que le parti de Harper partait avec 10 sièges au Québec et allait en
perdre la moitié tout en gagnant une majorité dans l’ensemble du Canada. Il en
est de même pour ceux et celles qui observent la scène politique fédérale
actuelle à partir de lunettes engagées mais non partisanes et souhaitent
influer sur le résultat. C’est notamment le cas des indépendantistes de gauche
du Québec, comme l’ont bien illustré des articles récents de Jonathan Durant
Folco[i] et Ludvic Moquin-Beaudry[ii].
L’électorat souverainiste semble
déserter le Bloc québécois indépendamment du virage indépendantiste « pur
et dur » effectué par le nouveau chef. Quand au Parti vert, il ne semble
pas générer bien de l’enthousiasme même chez les écologistes. On se retrouve
donc devant une crise de la représentation politique au niveau fédéral pour
bien des électeurs et électrices du Québec progressiste. En même temps, pour
une tendance grandissante dans la gauche canadienne, le NPD n’est plus le parti
normal du mouvement ouvrier, des progressistes et des mouvements de
contestation de l’ordre établi.[iii]
Mais avant de se pencher sur le
début d’une solution à ce problème d’éclatement des forces de gauche, il
convient d’évaluer le danger réel d’un autre mandat conservateur. Pour ce faire,
nous allons nous référer au meilleur site d’analyse combinée des sondages pour
la politique canadienne : www.threehundredeight.com.
Leur dernier calcul de la moyenne des récents sondages donne comme résultats
pour l’ensemble du Canada : PLC 40%, PC 30%, NPD 19%, Verts 5%, et un peu
plus de 16% pour le Bloc au Québec. Leur projection en termes de sièges est de
158 pour le PLC, 121 pour le PC, 55 pour le NPD, et 2 chacun pour le Bloc et
les Verts. À noter, le nouveau total ne sera par de 308 (comme l’indique le nom
du site) en 2015 mais de 338 à cause de la réforme de la carte électorale qui a
ajouté plusieurs sièges en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique
(trois de plus au Québec).
On se retrouve donc avec comme
projection un gouvernement libéral minoritaire et la balance du pouvoir au NPD.
À moins d’un revirement de situation majeur d’ici la date prévue du 19 octobre
2015, le paysage politique fédéral sera radicalement transformé. L’avance de 37
sièges des Libéraux sur les conservateurs sera très difficile à renverser,
notamment en raison de la concentration du vote libéral en Ontario (45%) et
dans les quatre provinces de l’Atlantique (54%). Le PLC se dirige aussi vers un
partage des 75 circonscriptions québécoises avec le NPD (PLC 37%, NPD 29%). La
Colombie-Britannique est la seule région où on anticipe véritablement une lutte
à trois (33%PLC, 30%PC, 35% NPD). Les conservateurs devraient rafler l’Alberta
comme toujours (56%).
Le seuil magique de la majorité
étant maintenant à 170, les Libéraux de Trudeau seraient à 12 sièges d’y
parvenir, ce qui est concevable. Mais on peut s’attendre à des batailles
farouches tant de la part des Conservateurs que du NPD, dans toutes les circonscriptions
chaudes, pour prévenir un tel résultat.
Choisir la bonne cible
Les mouvements sociaux et les
secteurs de la gauche qui ne sont pas attachés au NPD devraient donc prendre le
temps de bien identifier la cible ou les cibles de nos efforts politiques d’ici
les 12 prochains mois et la formulation de nos interventions lors de la
prochaine campagne fédérale. Plutôt que de paniquer à l’idée d’un autre quatre
ans de Harper - ce qui pourrait nous placer dans une situation de subordination
par rapport à la stratégie électoraliste du NPD de Mulcair ou même dans les
bras de Justin Trudeau! - il serait
préférable d’identifier des enjeux clés, en particulier les points de
convergence entre deux ou trois des grands partis fédéraux qui seront probablement
marqués par la continuité des luttes après l’élection.
Par exemple, les trois principaux
partis s’entendent pour appuyer les projets d’oléoducs visant à acheminer le
pétrole des sables bitumineux vers le Québec et le Nouveau-Brunswick. Ceci pendant
que la communauté scientifique nous annonce clairement que la majorité des
sources existantes de combustibles fossiles doit rester sous terre si on veut
éviter un changement climatique catastrophique. Ce protectionnisme du carbone
qui considère l’avantage économique pour le Canada dans l’exploitation de cette
ressources destructrice comme plus important que les principes de la justice
climatique, de l’écologie élémentaire et de la solidarité internationale mérite
d’être combattue dans la rue et si possible dans les urnes. Même le Parti vert
situe sa critique du projet d’oléoduc Énergie Est dans une perspective
nationaliste canadienne et non de lutte contre le changement climatique. [iv]
Les trois grands partis s’entendent
aussi pour reconnaître à Israël « le droit de se défendre » face
à une lutte armée presque sans moyens de la part d’une fraction de la
population qu’ils oppriment brutalement depuis des générations. Le mouvement de
solidarité avec la Palestine a d’ailleurs mené plusieurs actions cet été visant
directement le NPD et critiquant durement les concessions faites au sionisme
dans sa rhétorique de plus en plus contradictoire.[v]
Soit le NPD (ou les Verts, par ailleurs) défendent le droit international et
dénoncent les crimes de guerre commis par Israël avec la complicité du
gouvernement canadien, soit il se trouve à cautionner, même avec des critiques,
la politique de conquête et de colonisation du gouvernement israélien.
Ces deux enjeux majeurs ne sont
que des exemples parmi d’autres des points communs entre les trois partis. Les
convergences entre libéraux et conservateurs sont encore plus nombreuses et on
peut douter de l’impact réel que le NPD pourrait avoir avec la balance du
pouvoir, sur les questions qui distinguent le vieux parti de gauche du gouvernement
probable.
Le Bloc québécois, de son côté,
semble avoir bien du mal à choisir une nouvelle stratégie et à se redéfinir à
la suite de l’effondrement de 2011. Le virage indépendantiste mis de l’avant
par le nouveau chef est intéressant par contraste avec l’insignifiance de la
notion de « défense des intérêts du Québec » de la vieille garde.
Mais la stratégie mise de l’avant pour avancer vers l’indépendance ressemble à
une vieille méthode pédagogique de la répétition ou à l’optimisme d’une sorte
de mission nationaliste prêchant inlassablement la bonne nouvelle, plutôt qu’à
une nouvelle analyse politique tirant véritablement les leçons des échecs
passés. (Quelles alliances? Quelle liaison entre l’indépendance et les enjeux
sociaux, environnementaux et démocratique?) Avec en plus les déchirements
encore bien visibles entre les deux grandes tendances dans le parti, on peut
difficilement mettre nos espoirs de ce côté. De plus, même un regain du Bloc ne
ferait rien pour prévenir l’élection d’un grand nombre de conservateurs
ailleurs au Canada et pourrait, en fait (en
retirant des sièges au NPD et aux Libéraux) contribuer au prolongement du régime
conservateur.
Bien entendu, une victoire
conservatrice en 2015 est encore possible. La question qui se pose est comment
préparer le terrain pour qu’une telle éventualité ne conduise pas à du
découragement mais au contraire à un nouvel élan de combativité. Le facteur clé
dans cette situation ne sera pas le nombre de députés NPD dans l’opposition.
Même avec une centaine, ce parti n’a pas pu faire grand-chose pour bloquer les
projets de Harper. Ce qui va compter, c’est la capacité des personnes qui
subissent les conséquences des politiques conservatrices à s’organiser, à se
mobiliser et à lutter ensemble. Cette règle vaut tout autant pour l’éventualité
d’un gouvernement Trudeau ou Mulcair.
Dans un prochain texte, nous
avancerons des propositions allant dans le sens du développement d’une nouvelle
alternative politique pancanadienne postcoloniale et écosocialiste.
[iii]
Voir par exemple un récent texte de Sam Gindin et Michael Hurley, deux
militants de longue date du mouvement syndical en Ontario http://www.socialistproject.ca/bullet/1030.php
j'ai eu de la difficulté à te faire parvenir mon commentaire, si tu ne l'as pas reçu seulement me le dire
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