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La Constituante à tout faire: La fusion QS-ON et le débat sur le mandat de l’assemblée constituante



Les débats à Québec solidaire au sujet du rôle et du mandat de l’assemblée constituante ont repris de plus belle à la faveur des négociations sur la fusion possible avec Option nationale. Plusieurs nouvelles contributions ont été diffusées au cours des derniers jours incluant une position commune de Paul Cliche et Jonathan Durand Folco[1] et des textes de Pierre Mouterde[2] et de Éric Martin. Tout le monde semble s’entendre (y compris à ON … et même au PQ !) sur un processus d’accession à la souveraineté en trois étapes : l’élection d’une majorité indépendantiste à l’Assemblée nationale, un processus d’assemblée constituante, puis un référendum. Le débat à QS, comme dans la période 2013-2016, porte sur les rôles respectifs de ces trois étapes dans le processus de même que le rôle du parti et des mouvements.

Nous croyons que toutes ces interventions récentes accordent une trop grande importance au mandat de l’assemblée constituante et pas assez aux autres aspects de la stratégie pouvant mener à une majorité populaire en faveur du projet. Selon nous, peu importe le scénario retenu, aucun ne permet de faire l’économie d’un renouvellement de l’argumentaire et d’une campagne politique sans précédent. Une telle campagne ne peut pas être menée par l’assemblée constituante elle-même, laquelle aura un rôle limité quant au mandat et à la durée, et devra être caractériser par la représentativité et non par la partisannerie. Cette qualité particulière de la constituante, de se situer au-delà des clivages politiques habituels, découle de la nature de son mandat qui est justement d’élaborer les règles du jeu et la structure des institutions qui seront en place par la suite, indépendamment des changements dans le paysage politique.

Il appartient au parti ou aux partis indépendantistes ainsi qu’au mouvement indépendantiste non-partisan et aux organisations diverses prenant position pour l’indépendance, de mener cette campagne sur une longue période, en commençant maintenant et en allant jusqu’à la réalisation effective de la souveraineté nationale, à la fin de la période de transition qui suivrait un référendum réussi. Dans cette lutte, l’assemblée constituante, sa composition et son mandat, ne sont pas sans importance, mais il faut bien en saisir les limites pour ne pas tomber dans la pensée magique et confondre le contenant (la mécanique) et le contenu (les raisons de faire l’indépendance). La fusion entre Option citoyenne et Québec solidaire serait un développement positif dans le renouvellement du mouvement pour l’indépendance. Souhaitons donc que peu importe la décision du congrès de QS au sujet de l’assemblée constituante, la position retenue ne devienne pas un obstacle artificiel au rassemblement de vraies personnes autour d’un projet autrement plus vaste et concret que la rédaction d’une constitution.

Deux positions acceptables

Cliche et Folco reprennent une des options qui avait été écartée lors du congrès du printemps 2016 à QS, soit que le référendum comprenne deux questions : une sur la constitution et l’autre sur l’indépendance[3]. Le sous-entendu étant qu’advenant un Non à la seconde question, une version tronquée de la proposition issue de la constituante pourrait servir de constitution provinciale, faute de mieux. On reproche à ce scénario de laisser entendre qu’une assemblée constituante pourrait servir à autre chose qu’à élaborer un projet de constitution pour un futur pays indépendant. On semble craindre que si on entre-ouvre la porte à un positionnement fédéraliste autonomiste dans les débats de la constituante, cette option moins exigeante pourrait l’emporter plus facilement lors du référendum. Le fait est que les autonomistes, qui ont dominé la scène politique québécoise de Honoré Mercier à Robert Bourassa, n’ont plus d’interlocuteurs dans le reste du Canada et qu’un tel projet est voué à un échec rapide et sans équivoque. Aussi, la phase de la lutte qui précédera la formation de la constituante aura changé le paysage politique de manière significative en faveur des indépendantistes. Il faudra faire élire une majorité solidaire/indépendantiste à l’Assemblée nationale, une réussite majeure en soi.

Martin remet même en question la légitimité de la participation des « fédéralistes » à l’exercice, sans bien définir ce qu’il entend par ce vocable. (« Quant aux fédéralistes […] on ne voit pas ce qu’ils ont à faire dans un processus qui vise à écrire une constitution pour le Québec », Martin 2017). Comme si une république démocratique pouvait être fondée sur une démarche écartant à l’avance une grande partie de la population. Comme si l’oppression nationale était subie uniquement par les indépendantistes. Dans la catégorie des fédéralistes, il faudrait distinguer trois sous-groupes : les exécuteurs de la politique de la classe dirigeante et du grand capital, les membres actifs d’organisations fédéralistes et le segment de la population qui n’est pas convaincu de l’utilité ou de la possibilité de l’indépendance. Bien entendu, on veut minimiser le poids des membres des deux premières catégories dans les travaux de l’AC. Mais on ne peut pas gagner le référendum si on ne rallie pas une bonne partie du troisième groupe. Une constituante représentative et « transpartisane » peut aider sur ces deux tableaux. Concevoir la constituante comme au-delà des clivages partisans habituels permet de justifier d’écarter les leaders des partis fédéralistes. Mais accueillir chaleureusement la contribution de citoyennes et de citoyens ayant toutes sortes d’opinions sur le statut politique du Québec ne fera que renforcer la légitimité du processus et l’adhésion populaire au projet de constitution, et donc indirectement à l’indépendance.

Il faut admettre au départ que nous ne réaliserons pas l’indépendance en rassemblant les seuls indépendantistes, entendus comme les personnes qui accordent présentement une valeur positive à ce projet politique. Il y a peut-être un million à un million et demi de partisans de l’indépendance au Québec présentement. Il nous faut 2,5 millions de votes pour remporter le référendum qui donnerait un minimum de légitimité internationale au projet. Heureusement pour nous, c’est tout le peuple québécois qui subit le néocolonialisme canadien. Même notre premier ministre, fédéraliste convaincu et digne représentant du 1%, s’est fait rabrouer sèchement quand il a osé évoquer la possibilité d’une nouvelle négociation constitutionnelle. Même un ancien membre du gouvernement Chrétien, maintenant maire de Montréal, a été la cible du Québec bashing quand il a osé se prononcer contre le projet d’oléoduc Énergie Est. Au-delà de la nécessaire redéfinition du projet indépendantiste lui-même et de la réorganisation des forces sociales et politiques qui le portent, il nous faut mobiliser les Québécoise et les Québécois qui n’acceptent pas la constitution qui nous a été imposée par le reste du Canada en 1982. Ce défi lancé aux autonomistes devrait d’abord être un enjeu électoral, il pourrait aussi faire partie des débats au moment du référendum, il ne pourra pas être totalement absent des débats de la constituante, que celle-ci soit autorisée ou non à envisager un scénario provincial. 

Martin affirme aussi qu’il n’y a pas de démocratie sans souveraineté. L’exercice constituant qui n’aboutirait pas à l’indépendance aurait alors été une perte de temps totale. C’est vrai dans l’abstrait. Mais qu’en est-il des élections provinciales ou municipales dans le cadre actuel ? Ou même des élections fédérales dans une monarchie constitutionnelle ? Toutes ces élections auxquelles nous participons depuis 1792 ont-elles été sans la moindre portée démocratique ? Je me demande ce qu’en diraient Papineau ou Lévesque. Aussi, on peut facilement tomber dans un fétichisme de la forme républicaine et sous-entendre qu’elle constitue naturellement la forme achevée de la souveraineté populaire. Croyons-nous que la république étasunienne soit plus démocratique que la monarchie suédoise ? Ou encore que la république française, une et indivisible, soit un modèle d’égalité dans la citoyenneté ? S’il est vrai comme tout le monde semble l’accepter à QS que la question nationale est inséparable des questions sociales, la république ne sera vraiment démocratique que si elle est également sociale, égalitaire et inclusive et si la vie économique est elle-même démocratique. La constituante établira les bases d’une telle république seulement si le rapport de force politique et social au moment de ses travaux exerce une pression forte dans ce sens et ce peu importe comment elle sera formée ou quel mandat l’Assemblée nationale lui donnera.

Les interventions de Mouterde et de Martin vont donc dans le sens de limiter le mandat de la constituante à l’élaboration d’un projet de constitution nationale, à prendre ou à laisser en bloc lors du référendum. C’est aussi ce que propose le programme actuel d’Option nationale. Reprendre cette position à Québec solidaire (18 mois après l’avoir écartée) serait sans doute un geste très favorable à la fusion. La proposition de Cliche et Durand Folco a quant à elle le mérite de chercher un compromis entre les positions qui ont obtenu l’appui de la majorité récemment dans les deux partis. Elle serait probablement plus facile à accepter pour bien des membres de Québec solidaire, attachés au principe de l’autonomie de l’AC par rapport à l’Assemblée nationale et au gouvernement. Est-ce que ce compromis serait suffisant pour les gens de ON ? Ça reste à voir.

Pour ma part, les deux options m’apparaissent très proches en fait et également acceptables. Si on retient l’approche univoque, le problème restera entier sur ce qu’il convient de faire de toute la démarche constituante advenant un échec référendaire. En fait, on renverrait la balle à l’Assemblée nationale pour décider de la suite des choses. Si le compromis du référendum à deux questions l’emporte, il faudra se préparer à une bataille d’interprétation solide sur ce qui serait effectivement possible dans le cadre canadien. Autrement, le débat public risquerait d’être dévié vers une voie de garage, comme en 1980 avec le mythique fédéralisme renouvelé.  

D’une manière ou d’une autre, il s’agit de possibilités théoriques. Dans les faits, étant donné que les luttes sociales et la lutte contre le colonialisme canadien sont inséparables, le changement du rapport de force nécessaire à la réalisation de la première étape, soit l’élection d’une majorité indépendantiste à l’Assemblée nationale, sera tel que les paramètres actuels de la discussion politique seront probablement caduques. Les vrais débats risquent de porter davantage sur les moyens de résister au chantage des marchés financiers, à la fuite des capitaux ou autres formes de sabotage des élites économiques contre notre projet émancipateur. Sur ces questions, c’est le degré de préparation du parti et des mouvements qui sera la clé, et non la composition ou le mandat de l’assemblée constituante. Le rôle de l’AC est de rédiger une constitution. Un point c’est tout. Il faut arrêter de lui faire porter le poids de l’échec ou de la réussite du projet indépendantiste. C’est un atout, mais pas notre jeu au complet.

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