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L’islamophobie, fer de lance de la nouvelle extrême-droite


Les événements des derniers mois devraient nous amener à comprendre l’importance stratégique de l’islamophobie dans l’arsenal de la droite radicale nationaliste sous ses diverses formes. C’est le fer de lance qui permet de faire passer une série d’idée qui autrement auraient de la difficulté à prendre une place dans les débats politiques ordinaires et les mass médias. C’est au nom du combat contre « l’islamisation » que des groupes comme La Meute et la prétendue Alt-right se construisent une crédibilité et recrutent des adhérents. Voyons comment fonctionne la mécanique islamophobe pour mieux la déconstruire et la contrer.

D’abord, l’islamophobie actuelle part d’un phénomène réel, celui de la montée en influence des courants politiques simplement conservateurs, carrément autoritaires ou violemment réactionnaires se réclamant de l’Islam. La première étape de la construction de l’idéologie islamophobe consiste à confondre tous ces courants politiques divers en une seule masse informe appelée « islamisme ». Cette appellation sous-entend déjà que le phénomène politique en question est un produit naturel et inévitable de l’Islam, comme religion ou comme culture, un fondement de l’islamophobie. Ces éléments se combinent avec un refus d’analyser les phénomènes en question comme le résultat de conflits sociaux et politiques, dans des contextes historiques particuliers. C’est ce qu’on appelle essentialiser, ou créer un Monde musulman imaginaire intemporel et immuable.

En niant la complexité de ces phénomènes politiques, leurs contradictions, leur rapport contestable et contesté avec la foi musulmane, leur historicité et leur contenu social, on en arrive blâmer l’Islam comme religion et les Musulmanes et Musulmans comme communauté pour un ensemble de phénomènes politiques qui méritent d’être critiqués et combattus. Les Musulmans sont alors présentés en bloc comme inséparables de ces idées conservatrices ou d’une propension à la violence au nom de ces idées. Le fait que la grande majorité des personnes de religion musulmane n’appuient pas ces mouvements et que des mouvements politiques progressistes, démocratiques, féministes, socialistes et autres soient bien présents dans ces pays depuis des générations et dans les communautés musulmanes minoritaires ailleurs dans le monde est un fait qu’on choisit d’ignorer au profit d’une vulgaire caricature.

Puis, au nom de la lutte contre ces phénomènes concrets (les gouvernements autoritaires et conservateurs se réclamant de l’Islam, le terrorisme de groupes comme Al Qaeda ou Daesh, etc.), on justifie des actions violentes et colonialistes visant des pays à majorité musulmane (invasions, occupations, corruption des élites) ainsi que la discrimination envers les minorités musulmanes dans les pays occidentaux (profilage policier, exclusion du monde du travail, intolérance). Ce n’est pas un hasard si l’intolérance islamophobe et les idées de la droite populiste sont plus populaire chez les militaires ou les policiers que dans les autres catégories de la population. On pense aux fondateurs de La Meute, par exemple. C’est à ces personnes qu’on demande de faire le sale travail de répression contre les minorités profilées et elles auront tendance à adhérer aux idées qui leur permettent de justifier leurs actions.

Une fois établi que l’Islam et les Musulmanes et Musulmans en général sont un problème, on s’engagera donc dans une lutte contre « l’islamisation » des sociétés où cette religion est minoritaire ; une expression cautionnée par Bernard Drainville durant le débat sur son projet de Charte des valeurs. C’est ainsi que toute expression visible de l’Islam sera vue comme une menace ou une partie d’un vaste complot visant à imposer la « charia » un peu partout. Chaque prière en public, chaque comptoir de nourriture hallal, chaque femme portant un foulard ou un niqab, sont autant de signes de l’apocalypse. C’est sur le mode de la conspiration que ces personnes pensent, comme les antisémites décrits par Sartre dans son essai sur la question juive. Le fait qu’on attrape pas l’Islam en mangeant de la viande hallal et qu’on ne se convertit pas si on côtoie des femmes portant un hijab ne semble pas perturber nos prophètes de malheur.

On en arrivera aussi logiquement à prôner des pratiques discriminatoires en matière d’immigration et de gestion des frontières. C’est ce qu’on a vu avec l’interdiction d’entrer aux États-Unis pour les ressortissants de six pays ciblés par l’administration Trump, par exemple. Comme une bonne partie des migrantes et migrants des dernières années au Québec et au Canada sont originaires de pays à majorité musulmane, on voudra changer nos critères de sélection d’une manière ou d’une autre en vue de bloquer l’immigration en provenance de ces pays. On dira, sans aucune démonstration reposant sur des faits, que ces personnes sont « difficiles à intégrer ». C’est ce qu’on disait des Irlandais au 19e siècle ou des Juifs au début du 20e

Comme une grande partie de l’Afrique et de l’Asie sont concernés, les politiques d’immigration de facto ou explicitement islamophobes seront accueillies très favorablement par les racistes qui étaient déjà hostiles aux Arabes, aux Africaines et Africains ou aux populations de l’Asie du Sud, indépendamment de leur religion. La conversion des groupes d’extrême-droite en Europe au discours islamophobe illustre très bien ce virage idéologique. Le Front national (FN) français était à l’origine opposé à l’immigration arabe, maintenant, ils peuvent prétendre ne plus être racistes étant donné que leur opposition est présentée comme une défense de la république « laïque » contre la menace « islamiste ». La même conversion s’est opérée en Grande-Bretagne en opposition aux personnes originaires de l’Inde et du Pakistan, en Allemagne contre les Turques, etc.

Le cas récent de l’hostilité des groupes d’extrême-droite islamophobe face à l’arrivée de quelques milliers de migrantes et de migrants principalement d’origine haïtienne a exposé la vraie nature de ces groupes et leur double discours. Ces demandeurs d’asile sont majoritairement de foi chrétienne, beaucoup sont francophones, ils ont la possibilité de s’intégrer rapidement à une communauté déjà bien enracinée ici. Rien dans cette situation ne devrait inquiéter des personnes qui « ne sont pas racistes » et ne sont préoccupées que par « le danger de l’islamisation » ou la préservation de l’identité culturelle particulière du Québec. Mais le voile islamophobe cachait, plutôt mal, un racisme des plus ordinaire.

La facilité avec laquelle ces groupes sont passés d’un discours islamophobe très semblable à celui que véhiculaient les partisans « progressistes » de la Charte des valeurs à une campagne d’opposition à l’immigration en général illustre à merveille comment l’islamophobie fonctionne. C’est la voie royale qui permet de passer d’une forme de discrimination considérée comme acceptable dans notre société (l’hostilité sans nuance envers l’Islam) à des discours et des actions que la classe politique en général et nos institutions peuvent difficilement accepter. Il devrait s’en suivre une sorte d’incompréhension de la part des groupes ainsi rejetés à nouveau dans la marge. « Mais nous étions sur la même longueur d’onde il n’y a pas si longtemps ! Pourquoi nous condamnez-vous aujourd’hui ? »

Le fait est que c’est l’acceptation de l’islamophobie dans le discours politique « normal » qui a nourri ces groupes et est responsable de leur importance actuelle. Le docteur Frankenstein doit assumer sa responsabilité pour le monstre qu’il a créé. Sans le PQ de la Charte, il n’y aurait pas La Meute. Sans le travail acharné de personnalités « respectables » comme Benhabib, Martineau, Bock-Côté, Drainville et d’autres, il n’y aurait pas de Rambo Gauthier ou autres leaders autoproclamés d’un nouveau populisme antidémocratique et ouvertement xénophobe. Sans le discours ambigu ou empruntant aux thèmes xénophobes que propagent Legault et Lisée, nous ne serions pas aux prises avec cette extrême-droite de plus en plus audacieuse avec laquelle ils refusent avec véhémence qu’on les associe. Il ne s’agit pas de lancer l’anathème de « raciste » à ces leaders politiques ou ces personnalités médiatiques, mais de les interpeller en appelant à leur sens des responsabilités.

Pour contrer les discours islamophobes, nous devons mettre de l’avant quelques idées simples à comprendre et faciles à démontrer : 
·         La religion n’est ni la cause de tous nos problèmes, ni leur solution. (Le nouvel athéisme militant est tout un autre sujet sur lequel on pourrait s’étendre. Mais il est toujours bêtement islamophobe.)
·         L’Islam est une religion ni pire ni meilleure que les autres. (Il faut cesser de la caricaturer et chercher à la comprendre dans sa complexité.)
·         Les idées, les mouvements et les partis politiques qui se réclament de l’Islam n’ont rien d’unique et peuvent toujours être comparés à des idées, des mouvements et des partis inspirés par d’autres religions ou des idéologies non religieuses. (Rien de ce qui est musulman ne nous est totalement étranger.)
·         L’Islam peut être interprété d’une multitude de manières par les croyantes et les croyants, ce qui les rend susceptibles d’adhérer à tous les courants politiques contemporains sans renier leur foi.
·         La situation politique dans chaque pays à majorité musulmane est unique et mérite d’être analysée concrètement. Par opposition à l’approche par blocs de « civilisation ».  


L’islamophobie, tout comme le racisme en général, est un phénomène systémique, c’est-à-dire qu’elle ne dépend pas de la bonne ou de la mauvaise volonté individuelle, au cas par cas, mais relève des structures profondes, souvent cachées, de notre société. Il faut la combattre systématiquement si on veut vivre dans une société de liberté, d’égalité et de solidarité. Comprendre le rôle clé de cette idéologie dans les succès récents de l’extrême-droite nous offre donc une perspective stratégique pour la combattre. Asséchons le marécage (Drain the Swamp!), comme dirait Trump… 

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