Toutes les
personnes qui se sont impliquées à Québec solidaire depuis le début
reconnaîtront qu’il s’agit d’une organisation qui prend au sérieux la question
de la démocratie. C’est sans doute le parti le plus démocratique au Québec et
possiblement en Amérique du Nord et au-delà. Ceci étant dit, notre conception de
la démocratie n’est pas toujours claire, nos pratiques ne sont pas toujours à
la hauteur de nos principes, et les défis à venir pour un parti en croissance
sont nombreux. Voici donc quelques réflexions visant à clarifier nos idées en
vue d’améliorer nos pratiques et d’éviter des problèmes qui pourraient faire
dévier notre organisation dans une direction contraire à l’intention initiale.
Une démocratie
délibérative et non plébiscitaire
Un des
principes de base du fonctionnement de QS, depuis le début, est que nous
privilégions une démocratie de délibération plutôt que des méthodes
plébiscitaires. C’est-à-dire que nous cherchons à structurer des débats à la
base, impliquant les membres activement et collectivement, sur le modèle de
l’assemblée générale. Ce qui tranche avec les méthodes retenues par la plupart
des partis traditionnels et même certains nouveaux partis (Podemos, France
insoumise) qui relèvent d’avantage de la consultation formelle des membres pris
comme une masse d’individus atomisée (référendums, sondages, élection du chef
au suffrage universel). Pour nous, la démocratie n’est donc pas seulement
formelle (droit de vote) mais contient une dimension qualitative importante,
soit la participation égalitaire à une réflexion et une action collectives.
Le congrès de
fondation de février 2006 était une assemblée générale des membres. Par la
suite, étant donné la difficulté de réunir l’ensemble des membres d’un parti
grandissant au même endroit, et aussi le manque d’équité pour les régions
éloignées des grands centres, nous avons établi que la structure de base du
parti serait l’association locale. Ces associations tiennent des assemblées
générales des membres et envoient leurs délégations au congrès, l’instance
nationale suprême, ainsi qu’au conseil national, instance intermédiaire.
C’est
l’assemblée générale locale qui permet la participation active du plus grand
nombre de membres aux délibérations et constitue donc la forme supérieure de la
démocratie dans le parti. Puis, lors du congrès, les ateliers sont les moments
ou le plus grand nombre de membres peuvent intervenir et échanger sur les
enjeux étant donné la tenue de dizaines de discussions simultanées en petits
groupes. Dans une perspective de démocratie participative, ces ateliers
devraient toujours avoir un rôle important à jouer, quoique ce rôle puisse
varier selon la nature des questions à débattre. Enfin, l’assemblée plénière du
congrès est l’endroit où les grandes décisions qui concernent le fonctionnement
et les orientations du parti (statuts et programme) doivent se prendre. Mais la
qualité des décisions prises à ce niveau dépend de la qualité des débats dans
les assemblées générales et les ateliers.
Une structure
horizontale et paritaire
Le parti s’est
fait remarquer dès le début par la formule des deux porte-parole et l’absence
de chef au sens traditionnel. En fait, cette formule est le résultat de deux
principes appliqués aux organes de direction dans le parti, soit la
collégialité et la parité de genre. Le comité de coordination national (CCN)
est une direction collégiale composé de 14 personnes - dont au moins la moitié
sont des femmes - ayant toutes le même droit de vote. Les mêmes principes
s’appliquent aux comités de coordination des associations locales et aux autres
structures électives dans le parti.
La parité est
bien entendu un principe féministe. Elle permet de contrer la tendance
naturelle dans une organisation mixte à l’accaparement des positions de pouvoir
et du temps de parole par certains hommes. C’est une condition essentielle à la
mise en pratique d’une démocratie non seulement délibérative et participative
mais aussi égalitaire. Toutes les personnes membres devraient se sentir à leur
place dans nos délibérations et avoir l’opportunité d’y participer,
indépendamment des systèmes d’oppression ou autres obstacles auxquels elles
peuvent faire face dans la société.
La
collégialité des structures de direction est également essentielle afin d’éviter
l’émergence d’une autorité verticale autour d’une personne ou d’un petit groupe
de personnes. Ce principe est essentiel à une démocratie participative et
égalitaire. En effet, la participation active des membres aux délibérations est
incompatible avec la prise en charge du parti par un petit groupe au sommet. Ce
faisant, nos structures sont en contradiction avec la tradition monarchique qui
est à l’origine de nos institutions politiques. C’est pourquoi notre mode de
fonctionnement est souvent mal compris par les médias ou les autres partis.
principes, stratégies
et tactiques
Bien entendu,
toutes les décisions ne peuvent pas se prendre en congrès à la suite d’une
série d’assemblées générales locales. Mais plus une décision est importante
pour la définition de notre projet politique (programme) ou les rapports de
pouvoir dans le parti (statuts), plus elle doit impliquer le plus grand nombre.
Les détails tactiques (comment répondre du tac au tac à une intervention d’un
autre parti, quoi mettre sur nos tracts, à quelle date tenir telle ou telle
réunion, etc.) peuvent être assumées par
de petites équipes de travail comme le
comité exécutif (un sous-groupe du CCN), l’équipe des communications ou l’aile
parlementaire.
Les décisions
plus stratégiques (comment s’inscrire dans la conjoncture, quels enjeux
prioriser, avec qui travailler sur ces questions, comment répartir nos
ressources, etc.) relèvent en principe du conseil national, l’instance
décisionnelle entre les congrès. Par contre, étant donné que cette instance est
nombreuse (100 à 150 personnes) et ne se réunit pas souvent ou au bon moment,
la plupart de ces décisions de stratégie se retrouvent entre les mains du
comité de coordination national. La supervision des activités des équipes de
travail nationales (incluant le caucus des député-e-s) relève également du CCN.
Mais comme celui-ci est composé principalement de bénévoles qui se réunissent
au mieux une fois par mois - alors que des dizaines de personnes travaillent à
temps plein à la permanence nationale, dans les bureaux de circonscription ou à
l’Assemblée nationale - beaucoup de décisions importantes finissent par lui
échapper.
Des changements
souhaitables
Tous les
partis politiques désireux de mettre en pratique des principes de démocratie
délibérative, participative et égalitaire font face à deux grands
dangers : la bureaucratisation du parti et l’autonomisation de son aile
parlementaire. Ces deux éléments constituent la mécanique qui a permis la
transformation de bien des partis issus du mouvement ouvrier ou d’autres luttes
sociales en organes de gestion tranquille du statu quo. Rien ne laisse croire
que QS soit immunisé contre cette dynamique. Plus le parti aura du succès sur
le plan électoral et plus l’aile parlementaire aura tendance à définir sa
propre activité indépendamment du reste du parti. Plus il y aura de personnes qui
travailleront pour le parti et nos députés et plus il sera difficile pour le
CCN d’assumer ses responsabilités de coordination de l’ensemble des activités
du parti.
Cette
bureaucratisation est dans une certaine mesure inévitable, une rançon du succès.
Mais on peut prendre des mesures pour atténuer le problème et resserrer les
liens entre les membres ordinaires et cet appareil grandissant. Par exemple, il
faudra viser à ce que le plus possible de membres du CCN soient libéré-e-s pour
faire leur travail. Ces personnes sont élues en congrès et redevables
directement à celui-ci et au conseil national, c’est-à-dire indirectement aux
associations et à l’ensemble des membres. Mais comment s’attendre à ce que
cette direction collégiale du parti supervise par exemple le travail de
l’équipe parlementaire, quand celle-ci sera composée d’une douzaine de député-e-s
et d’une trentaine de permanentes et de permanents discutant sur une base
quotidienne, si la plupart des membres du CCN ont des emplois à temps plein,
des obligations familiales et ne peuvent consacrer que quelques heures par
semaine à leurs tâches politiques ?
Le paradoxe de la
participation
Un problème
récurrent à Québec solidaire est l’énormité et la complexité des cahiers de
proposition pour les congrès et conseils nationaux, ce qui cause des maux de
tête et beaucoup de frustration dans le déroulement des débats. Il s’agit d’un
problème de démocratie pour plusieurs raisons. D’une part, ces documents ne
sont pas accessibles pour bien des membres qui n’ont pas de connaissance
préalable des sujets traités ou ne sont pas familiers avec le langage utilisé
ou les procédures. D’autre part, le nombre de décisions à prendre ne permet pas
d’assurer des débats de qualité pour chacune d’entre elles. En bref, décider
beaucoup de choses rapidement en ne sachant pas toujours de quoi il ressort est
en fait moins démocratique que décider de moins de choses mais en prenant le
temps qu’il faut.
Plus le parti
grandit, plus ce problème risque de s’aggraver uniquement en raison du nombre
plus élevé d’associations actives et donc du nombre potentiel d’amendements
envoyés par les associations aux différentes propositions issues du CCN ou de
la commission politique. Autrement dit, plus de personnes participent, plus il
devient difficile d’assurer la qualité de cette participation.
Afin d’éviter
ces problèmes, des habitudes doivent se prendre en amont du processus :
produire des cahiers de départ plus courts, plus simples, s’en tenant aux sujets
les plus importants et à leur contenu essentiel en évitant les détails. En
aval, on doit développer des méthodes de filtrage et de synthèse des
contributions des associations. Ces méthodes devraient impliquer les
associations elles-mêmes autant que possible afin de respecter le principe
d’horizontalité. Par exemple, on pourrait décider de ne retenir que les
amendements et nouvelles propositions qui obtiennent l’appui d’au moins trois
associations, via une plateforme en ligne. Les ateliers peuvent aussi servir de
lieux de sélection des propositions au début d’un congrès. Il faudrait par
exemple qu’au moins un atelier adopte une proposition pour qu’elle se retrouve
en plénière.
Pour le
congrès qui s’en vient en décembre, et qui portera non seulement sur la
plateforme électorale mais sur une possible entente de fusion avec Option nationale
et d’autres sujets, on pourrait éviter le phénomène de l’adoption à la chaine
de multiples propositions en donnant aux ateliers au début du congrès le
pouvoir de déterminer lesquelles, parmi l’ensemble des propositions en jeu sur
la plateforme, seront débattues et votées en plénière. Cette discussion sur les
priorités à retenir dans la plateforme serait une occasion de débattre de la
stratégie électorale avec des centaines de membres, à quelques mois du début de
la campagne.
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